Le film de « domesticité » comme pamphlet politique
Chaque membre de la famille va se faire embaucher sans révéler son lien de parenté avec les autres. Pourtant, une personne va entraver le bon déroulement de ce « parasitage »
Une famille précaire, les Ki-taek, survit dans un sombre entresol de Séoul et va connaître une progression, sur le plan financier, en pénétrant une propriété richissime et bien-pensante. Chaque membre de la famille va se faire embaucher pour diverses tâches, sans révéler son lien de parenté avec les autres. Pourtant, une personne va entraver le bon déroulement de ce « parasitage » : la gouvernante qu’ils sont parvenus à faire renvoyer et qui avait elle-même organisé sa vie aux crochets des maîtres de manière surprenante…
Après avoir réalisé des films de monstres ou d’anticipation, Bonj Joon-Ho revient, avec ce film intimiste, à un genre cinématographique typiquement coréen, le film de domesticité. Dans la lignée de Chabrol avec « La Cérémonie » ou du Sud-coréen Kim Ki-young avec « La Servante », « Parasite » évoque la lutte des classes. Deux mondes, les riches et les pauvres, s’opposent, s’entremêlent, mais entre eux demeure une barrière viscéralement infranchissable (l’odeur est un marqueur social). Le film évoque le chômage et la pauvreté dans le Séoul d’aujourd’hui, avec des inégalités toujours plus profondes, accompagnées d’une fascination pour les Etats-Unis et sa société de consommation.
Une topographie cinématographique de la richesse et de la pauvreté
La maison faussement horizontale et lisse des Park révèle une série d’extensions, de coulisses et de cachettes.
La frontière entre ces deux mondes, indépassable, est littéralement mise en image, grâce à un objectif qui capte des lignes géographiques. Les plans, très travaillés, balaient l’espace de bas en haut, allant de la maison en sous-sol des Ki-taek à la surface en hauteur d’une vaste maison d’architecte, construite dans les beaux quartiers de la ville. A cette figure de verticalité, s’ajoute une vision horizontale, principalement dans la maison des Park, qui symbolise la fluidité et l’aspect lisse de l’aisance financière. « Parasite » enfonce le clou en caricaturant cette nouvelle élite coréenne qui a fait fortune dans les nouvelles technologies et qui imite le style de vie occidental en parsemant ses phrases de mots américains. Cet espace horizontal de la richesse va ensuite être à son tour bouleversé par d’autres verticalités. La maison faussement horizontale et lisse des Park révèle une série d’extensions, de coulisses et de cachettes. La mise en scène repose donc sur une utilisation brillante du décor principal. Le réalisateur manie une géographie de la ville utilisant sa caméra comme s’il dressait une carte des pauvretés et des richesses.
Un film protéiforme au risque de la confusion stylistique et réflexive
Le parasite est celui qui « s’incruste », « fait partie des murs », celui aussi qui devient ce monstre imaginaire issu des bas-fonds.
Le film doit également sa réussite – mais c’est aussi la cause de sa fragilité – à une transformation à la Kafka : le parasite est celui qui « s’incruste », « fait partie des murs », celui aussi qui devient ce monstre imaginaire issu des bas-fonds. En suivant le fil de cette idée, « Parasite » joue avec les genres, s’offrant à plusieurs grilles de lecture, le film psychologique, politique, mais aussi la comédie, le thriller et le film à suspense à la Hitchcock, jusqu’au film d’horreur. Cette compilation de genres finit par quelque peu « noyer » la profondeur du récit, entravant le rythme du film et empêchant le spectateur d’accéder à une réflexion plus profonde sur son sujet, les inégalités sociales. Le film qui démarrait sur le mode de la comédie satirique, pleine d’ironie mordante et de cynisme, finit par glisser sur le versant du film horrifique, celui-ci plus excessif et plus lourdement insistant sur le sens (cf. la scène finale dans le jardin). Ce glissement stylistique, trop souligné, laisse donc l’impression au spectateur qu’il bute contre quelque chose liée à l’unité et à la densité du film, comme si Bonj Joon-Ho, passant d’une émotion à l’autre, n’était finalement pas parvenu à creuser jusqu’au bout son propos.
Pierre Vaccaro
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