En faisant de l’incendie de Notre-Dame de Paris un thriller à grand spectacle, digne d’un scénario hollywoodien, Jean-Jacques Annaud prouve une fois de plus qu’il est un véritable aventurier du cinéma. Ce nouveau défi lui fut lancé par le président du groupe Pathé lui-même, Jérôme Seydoux, lorsque celui-ci, fin 2019, lui propose de faire un film de montage d’archives à grand spectacle pour écrans larges IMAX avec son immersif sur l’incendie de Notre-Dame. Pour l’ancien étudiant en histoire de l’art qu’est Annaud, l’occasion donnée est trop belle : le cinéaste, passionné d’architectures religieuses et particulièrement de celle de Notre-Dame, se lance à corps perdu dans ce projet fou. La caractéristique principale de ce réalisateur est l’association des genres cinématographiques (rappelons-nous le thriller moyenâgeux du « Nom de la Rose » ou la fiction animalière de « L’Ours » pour ne citer qu’eux). Annaud a toujours recherché cette synthèse du film commercial destiné au marché international et de l’œuvre culturelle, religieuse, historique ou littéraire. Une anecdote de son enfance dit déjà tout de cette marque de fabrique « J’étais un enfant un peu bizarre. Avec mon argent de poche, je m’étais abonné au journal de Mickey mais aussi à la revue Zodiaque conçue par les moines de la Pierre-Qui-Vire qui réalisaient des monographies sur les églises romanes (…) J’étais un passionné et plus tard étudiant, j’avais choisi de faire des études d’histoire de l’art du Moyen-Age parallèlement à mes études de cinéma. J’ai passé mon adolescence à photographier des cathédrales, des églises et des chapelles. » (« Les incroyables secrets du tournage de Notre-Dame brûle » in Le Point -5/03/22) Ce n’est donc pas un hasard si Jean-Jacques Annaud a par la suite réalisé des films tels que « Le Nom de la Rose » ou « Sept ans au Tibet ».
Pour retracer l’événement, devenu immédiatement historique, de l’incendie de Notre-Dame, le réalisateur fait appel au thriller. A l’écran, le résultat est saisissant : Annaud parvient à faire du récit de cette journée du 15 avril un suspense haletant voire oppressant. Véritablement cloué dans son fauteuil, le spectateur se trouve emporté par la tension du récit. Le film rend en même temps hommage au courage des sapeurs-pompiers. Pas un instant durant le visionnage sans que l’on n’écarquille les yeux en se demandant comment un tel film a été rendu possible techniquement. Et, même si parfois la mise en scène abuse de procédés type blockbuster (musique pompeuse omniprésente, clichés sur l’héroïsme, exagération dans le jeu de certains acteurs), on se laisse captiver par ce film épique, à la mise en scène immersive et spectaculaire. Outre l’incroyable prouesse technique du film (lieux et décors reconstitués, images amateurs parsemant le film, effets spéciaux) sur laquelle la presse s’est beaucoup arrêtée, et que nous ne commenterons pas plus ici, d’autres raisons, plus profondes, expliquent le choc et la réussite du film au-delà de son aspect commercial.
La première grande force du film est de nous faire vivre de l’intérieur ce que nous n’avons pu voir le jour du drame : nous sommes dans la cathédrale, dans les flammes, au milieu de l’intervention des pompiers mais aussi au cœur de Paris bouleversé par l’événement. Nous vivons cette journée comme si nous avions été présents. En cela, Annaud renoue avec la fonction première du cinéma comme art de l’illusion, telle que l’avait utilisé Méliès. Il s’agit de faire croire, de montrer quelque chose qui ressemble à la réalité, rendre possible ce qui n’a jamais été montré ou vécu. « Notre-Dame brûle » n’est ni un documentaire ni une fiction : il est ce paradoxe de la réalité reconstituée de manière factice grâce à la magie du cinéma. A l’image de ce sentiment de vivre un cauchemar éveillé lorsque nous sommes confrontés à un drame. « Tout est vrai sans que rien ne paraisse vraisemblable » évoque en exergue une citation apposée au générique d’ouverture du film. Reconstituer le récit de l’incendie par le truchement des effets spéciaux, c’est donc faire revivre le réel, mettre l’art cinématographique au service de l’histoire. Le fait d’y adjoindre des images amateurs, elles bien réelles, permet de renforcer cette dimension historique dans lequel chaque spectateur pourra se projeter et s’identifier.
Ainsi, le film touche car il nous situe au cœur d’un récit historique qui a façonné notre identité commune. Voir la cathédrale incendiée, c’est voir notre identité française brûlée. Le sort de tous les personnages, de la voisine anonyme au président, est scellé par cet événement qui nous rappelle que nous partageons un destin historique commun. Bénéficiant de gros moyens financiers, Annaud a utilisé durant le tournage ce qu’il appelle « la méthode Kurosawa » c’est-à-dire utiliser de nombreuses caméras pour filmer la même scène sous différents angles en seule prise. Cette technique lui permet au montage d’exprimer à l’écran cette multitude de points de vues, un kaléidoscope de personnages et de situations rassemblés autour de l’actrice principale, la cathédrale, lieu de rassemblement et d’unité. L’incendie porté à l’écran remet en lumière l’importance du monument historique aux yeux des Français et dans l’histoire de France. A une époque où l’on parle d’une perte de la culture religieuse, l’impact de ce film prouve au contraire combien nous restons viscéralement attachés au patrimoine culturel et religieux de notre pays, même si d’aucuns veulent le rejeter. Rappelons-nous ce jour du 15 avril 2019 : tous nous nous souvenons exactement où nous étions et ce que nous faisions au moment où nous avons découvert ces fumées sur le toit de la cathédrale. Preuve que l’événement nous a touchés dans l’intime de ce que nous sommes et de ce qui nous constitue comme communauté d’origine, d’histoire et de culture.
Le film va plus loin que l’évocation d’une identité commune et d’un attachement profond à la culture religieuse et patrimoniale qui ont façonné la France : il va jusqu’à évoquer une communion, telle une union sacrée autour de la cathédrale, qui touche chaque personne, chrétienne ou pas. Communion silencieuse et implicite très bien rendue à l’écran dans la manière de filmer en mosaïque les visages et les regards émus, levant les yeux vers la cathédrale, liés les uns aux autres autres par le drame commun. Communion explicite comme par exemple lors de cette séquence où l’on voit réunis ceux qui agissent, les pompiers, et ceux qui prient, la foule spontanément rassemblée aux abords de l’édifice. Le thriller lui-même prend la forme d’un combat spirituel. Il se joue sous nos yeux un duel entre l’édifice cathédrale, devenu personnage avec ses cloches et ses charpentes, et le feu, figure du mal que Jean-Jacques Annaud filme avec inspiration. Entre les deux, de jeunes gens prêts à donner leur vie pour sauver des pierres. Le film ne fait qu’avancer des hypothèses au sujet du démarrage de l’incendie. Il n’explique pas l’origine du mal. En revanche Annaud sait filmer le feu comme un personnage, figure du démon, grand méchant charismatique par excellence. On retient le sens des détails, ces fumées sortant des naseaux des gargouilles, ces coulées de plomb fondu gouttant sur les casques ou les jets d’eau des lances à incendies glissant sur les cloches. Dans ces moments-là le film atteint sa plus grande puissance d’évocation, prenant une dimension flamboyante, poétique et spirituelle : lorsque qu’il nous plonge au cœur d’images terrifiantes évoquant la progression implacable de l’incendie, de ce feu qui semble alors nous dévorer de l’intérieur.