Un film quasi documentaire sur une communauté d’anciens toxicomanes
Il y aurait de quoi rester perplexe face à l’accueil presque unanime des médias, d’habitude enclins au catho bashing, au sujet de La Prière, qui pose un regard plus que bienveillant sur la foi chrétienne. Pour comprendre ce paradoxe et le sens de ce film étrange, il convient de s’attarder sur ses origines. C’est une jeune écrivaine, Aude Walker, qui a convaincu Cédric Kahn de s’atteler à ce sujet périlleux. Elle-même avait mené auparavant un travail documentaire fouillé en vue d’un livre sur les expériences religieuses tentées avec des toxicomanes. L’orientation du projet de départ donne donc au film sa marque de fabrique puisqu’il se présente d’abord comme une œuvre documentaire sur une maison pour des toxicomanes qui tentent de se sortir de la drogue en adoptant une vie communautaire et religieuse très strictes.
Alors qu’il peine dans l’écriture cinématographique, Cédric Khan décide de faire appel à deux scénaristes, Samuel Doux et Fanny Burdino. « Samuel est allé à la rencontre de jeunes gens en pleine expérience, il a observé leurs rituels et leurs disciplines de vie et a ainsi recueilli leurs témoignages. L’écriture a pris corps à partir de ce moment-là » explique le metteur en scène. Aussi le cinéaste a-t-il réalisé pour le cinéma la transcription d’un travail documentaire en y ajoutant son regard, intellectuellement curieux, sur les choses de la foi. Le film se concentre sur le chemin individuel de Thomas qui parvient à se reconstruire au travers des liens avec ses semblables.
Un regard de l’extérieur sur la foi chrétienne
Pour le cinéaste, qui déclare n’être « ni croyant, ni chrétien, ni ex-toxicomane » , l’entrée en matière s’avérait donc difficile. Alors qu’il entend parler de la foi de ces jeunes toxicomanes, expérience d’intériorité, de rencontre avec le Christ et les autres, il reste dans la difficulté de parler de l’intérieur des itinéraires spirituels de ses propres personnages.
Le film donne une vision souvent abstraite ou intellectualisée de ce que peut représenter la foi, restant au stade d’une religiosité, sans vraiment nous faire accéder au for intérieur des protagonistes. La foi – dont il est bien difficile de rendre compte à l’écran – est ici perçue comme un système ou un arsenal spirituel, une sorte de palliatif psychologique à la souffrance pour s’en sortir. Les scènes de vie communautaire, peu crédibles ou idéalisées, montrent des jeunes chapelets à la main, en train de réciter des « Notre Père » et des « Je vous Salue Marie » ou de déclamer le Credo en marchant en file indienne. Ces postures de piété et de dévotion désuètes semblent issues d’un catéchisme d’un autre temps et se révèlent artificielles voire désincarnées ; elles collent mal à la profondeur humaine du chemin de conversion extraordinaire vécu par ces jeunes, qui force notre admiration et dont on attendrait d’en savoir plus.
Enfin, certaines scènes essentielles, en décalage, viennent brouiller les pistes et faire perdre de la puissance à des moments d’inspiration spirituelle attendus : le « miracle » de la guérison du genou de Thomas en randonnée ou le suicide d’un jeune sur lesquels le film reste silencieux ; et surtout un entretien aberrant avec une religieuse polonaise qui prend à part Thomas montrant des signes d’une foi sincère, et qui, au lieu de le bénir, le gifle pour lui faire prendre conscience qu’il n’est pas heureux et se ment à lui-même.
Au centre du récit, Anthony Bajon crève l’écran et donne une âme au film.
Heureusement, Cédric Khan a sauvé son film grâce à la découverte d’un jeune acteur, Anthony Bajon, qui joue le rôle principal de Thomas. Il suscite rapidement l’intérêt et l’empathie du spectateur. Les scénaristes ont donc pris l’optique de centrer le récit sur la trajectoire de ce garçon, figure emblématique dont on ne sait rien et qui, au fil de la narration, symbolise l’itinéraire de tous les autres. Le film commence à son arrivée et finit à son départ, l’avant et l’après restant un hors-champ du récit. Chaque apparition de l’acteur à l’écran provoque une profonde émotion et apporte au film l’épaisseur humaine dont il avait besoin. Sa quête d’amour est bouleversante et en elle réside une foi authentique.
Chaque apparition de l’acteur à l’écran provoque une profonde émotion et apporte au film l’épaisseur humaine dont il avait besoin.
Lorsque Khan saisit en gros plan son visage ou ceux des autres, le film atteint des moments de grâce. Celui du jeune Thomas, perdu, souffrant et reprenant progressivement confiance en lui, occupe tout l’espace et donne au film sa raison d’exister sur le plan artistique et cinématographique. Grâce au jeu de l’acteur, La Prière touche parfois au plus juste, comme lors de cette scène où, pour la première fois, Thomas accepte d’aller lire le psaume à la messe devant tout le monde ; parole qui parle de sa vie, parole dont on voit sur son visage même l’effet s’accomplir sous nos yeux et qui commencera à le transformer du dedans.
L’équipe du film cherchait un acteur « avec beaucoup de présence, d’intensité, de violence, mais aussi une forme de candeur, un lien fort à l’enfance. Et qui soit assez indéfinissable socialement. » Sur ce plan le pari est gagné, tant le jeune interprète est capable d’habiter les creux du récit. Anthony Bajon a remporté l’Ours d’argent du meilleur acteur au festival de Berlin 2018. Il est la vraie révélation du film et la principale raison d’aller voir La Prière.
Pierre Vaccaro (contacter l’auteur)