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La photographie et la préservation des monuments

La photographie joue un rôle essentiel vis à vis du patrimoine architectural, en apportant un témoignage visuel de son état, de ses évolutions et transformations, plus particulièrement à l'heure où se pose la question de la reconstruction ou de la restauration. Mémoire d'une importante primordiale du patrimoine architectural, la photographie laisse aussi entrevoir l'esprit immuable et intemporel des édifices. En voici la preuve en images...
Publié le 04 octobre 2019
Écrit par Françoise Paviot Co-directrice de la galerie Françoise Paviot

A la suite de la démolition de la Bastille, l’idée de conserver la mémoire des bâtiments se fait jour.

La Révolution française a été accompagnée de nombreuses destructions : confiscations, actes de vandalisme, voire ventes à des particuliers. C’est ainsi que de nombreux monuments ont changé d’attribution ou ont complètement disparu en servant de matériaux de construction. Mais ces actes de « vandalisme », terme utilisé par l’Abbé Grégoire et ces dispersions ont aussi donné naissance à la notion de monument historique évoquée pour la première fois en 1790. A la suite de la démolition de la Bastille, l’idée de conserver la mémoire des bâtiments se fait jour. Très vite un décret constitue la Commission des monuments dont le rôle est d’étudier « le sort des monuments, des arts et des sciences ». En 1791, Alexandre Lenoir est nommé pour créer le musée des monuments français.

Très rapidement, on a pris conscience de l’utilité et de l’efficacité de la photographie, inventée en 1839, pour la connaissance et la préservation  des monuments.

En 1819, pour la première fois, le budget du ministère de l’Intérieur a une ligne « monuments historiques ». En  1830, Ludovic Vuitet devient le premier inspecteur des monuments historique et à sa suite, en 1834, Prosper Mérimée. La mission de l’inspecteur des monuments historiques est de classer les édifices et de répartir les crédits d’entretien et de restauration. Très rapidement, pour mener cette tâche à bien, on a pris conscience de l’utilité et de l’efficacité de la photographie, inventée en 1839,  pour la connaissance et la préservation  des monuments.

Une Mission photographique

En 1851, l’Etat français passe pour la première fois une commande, appelée ultérieurement la Mission héliographique, aux meilleurs photographes de l’époque. Une liste des monuments à photographier est donnée à chacun d’entre eux. Les frais de mission, très substantiels, comprennent la livraison des négatifs et un certain nombre de tirages.
« Cinq membres de la Société héliographique, MM. Bayard, Le Secq, Mestral, Le Gray et Baldus, viennent de recevoir, du Comité des monuments historiques, diverses missions importantes dans l’intérieur de la France. Il s’agit de reproduire photographiquement nos plus beaux monuments, ceux surtout qui menacent ruine et qui exigent des réparations urgentes. L’on ne sait pas assez que la France possède à elle seule plus de cathédrales gothiques que tout le reste de l’Europe. Les lettres d’avis ayant pour titre Missions photographiques sont une nouveauté, et une preuve que la direction des Beaux-arts ne néglige rien de ce qui a rapport à l’art et à ses progrès. » (1)

G. Le Gray – O. Mestral, Brantôme, 1851, mission Héliographique ; H. Le Secq, Laon, 1851, MISSION HÉLIOGRAPHIQUE

Au fil des ans, les monuments continuent de faire l’objet de nombreuses photographies dont une grande partie figure maintenant dans des collections prestigieuses, celle du Musée d’Orsay par exemple. On peut citer les images d’E. Baldus qui a suivi pendant plusieurs années le chantier de démolition et de reconstruction de la Grand Galerie du Louvre voulu par Napoléon III ou bien celles de C. Marville qui a travaillé sur Notre-Dame et suivi les travaux du Baron Haussmann.

E. D. Baldus, La Déstruction de la GrandE Galerie du Louvre,1853-54
O. Mestral – Ange de la Passion Sainte Chapelle Paris  – 1853/54

La Monographie de la Cathédrale de Chartres

Démontrer que la photographie surpasse dessin, lithographie et gravure dans la représentation de l’architecture provoque des résistances.

Cependant, l’apparition de la photographie ne va pas rallier tous les suffrages et en particulier ceux des dessinateurs qui voient là une forme de concurrence déloyale. Démontrer que la photographie surpasse dessin, lithographie et gravure dans la représentation de l’architecture provoque des résistances. Cependant il est intéressant de citer le cas de La Monographie de la Cathédrale de Chartres, entreprise en 1839 et comprenant des planches gravées et imprimées, mais où ont été insérées deux photographies de Charles Nègre reproduites en héliogravure.  L’ouvrage ne fut jamais terminé : « Jadis, le Ministère de l’Instruction publique commença, avec le concours de Lassus, de Didron, d’Amaury Duval, de Gaucherel et de beaucoup d’autres, un livre immense sur la Cathédrale de Chartres. Mais la tâche était si écrasante, il y avait tant de statues, tant de bas-reliefs, tant de vitraux à dessiner et à décrire que les collaborateurs sentirent leur courage défaillir. Le livre resta inachevé. » (3)

Charles Nègre, La Cathédrale de Chartres, 1855-57

Les images dans la presse et les collections

En fait, il était inévitable que, pour de multiples raisons techniques et pratiques, la photographie finisse par prendre le pas sur le dessin. Dès les débuts du XXème siècle, l’architecture et les monuments continuent à faire l’objet de très nombreuses prises de vue. On ne songe pas toujours à la conservation, car un élément nouveau intervient : l’apparition de la presse illustrée qui devient un des  principaux vecteurs d’information et aussi de revenus pour les photographes.
Les institutions de leur côté se préoccupent d’enrichir leurs collections. Elles achètent, récupèrent, commandent des images. Le Musée Carnavalet a ainsi dans ses réserves de précieux tirages d’E. Atget, photographe qui a passé une grande partie de sa vie à photographier Paris. En 1999, ces photographies ont été présentées dans une exposition où le musée a mis en regard celles d’un jeune photographe contemporain, J. Nefzger, qui avait placé sa chambre (4) exactement au même endroit qu’Atget pour effectuer ce qu’on appelle des reconductions.

E. Atget,Le Vieux Paris – Ile de la Cité, c. 1900

JURGEN Nefzger, ILE DE LA CITÉ, 1999 © Jurgen NEFZGER

Dans une même intention de constat sur l’évolution, René-Jacques, grand photographe illustrateur, se voit confier un reportage sur la reconstruction de Saint Malo après les bombardements de la Seconde guerre mondiale. Ses photographies reprennent les mêmes angles de prise de vue que celles réalisées à la fin du conflit.

René-Jacques, La restauration de SAINt-MALO, c. 1950 © MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION / MÉDIATHÈQUE DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE

On pourrait également citer, ce qui s’est appelé lors de sa création en 1964 l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France. Répartis dans les départements, avec beaucoup de savoir-faire mais aussi de discrétion, des opérateurs continuent à constituer selon des règles et des protocoles méticuleux les documents pour les travaux  futurs et les archives de notre mémoire.

L’exemple du Pôle images du Centre des Monuments nationaux

Le Centre des Monuments nationaux gère sur le territoire français plus d’une centaine de monuments historiques, chacun de typologies et d’époques très différentes : des grottes de Combarelles à l’abbaye du Thoronet ou la Sainte Chapelle. Cet établissement a pour mission de conserver, restaurer et entretenir, les monuments et les collections placés sous sa responsabilité et de les ouvrir au public.
Au sein de la Direction du développement culturel et des publics, le Pôle Images a en charge de conserver les collections photos constituées au fil des campagnes photographiques depuis la naissance de l’établissement, et conserve ainsi plus de 450 000 documents sur les thèmes de l’architecture et du patrimoine architectural français, ainsi que des fonds patrimoniaux acquis au milieu des années 80 (Séeberger, E. Feher, René-Jacques…)

E. Feher, Abbaye de Cluny © PÔLE IMAGES – CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX

Le Pôle Images a également pour mission d’actualiser les reportages dans les monuments gérés par l’établissement et est ainsi amené à  passer des commandes photographiques à des professionnels. Les commandes sont très variées : que ce soit des prises de vues des collections ou d’architecture, des survols de monuments ou de création contemporaine. Chaque commande invite un photographe à déployer des compétences précises ; parfois des reportages, plus rares, sont commandés sous forme de « cartes blanches », tantôt à de grandes signatures (B. Konopka, J.C. Ballot et par le passé D. Boudinet, K. Tahara…) tantôt à de jeunes photographes (C. Clier, A. Tezenas) permettant d’ajouter à la beauté des monuments, l’expression d’un regard tout à fait singulier et assumé.

J. C. Ballot, Église Saint-Nicolas-de-Tolentin de Brou; Basilique de Saint-Denis, tombeaux du croisillon nord © PÔLE IMAGES – CENTRE DES MONUMENTS NATIONAUX

Pour Anne Lesage, qui dirige le Pôle Images « La photographie est la mémoire du patrimoine architectural, passé, et de ses transformations, pendant et après chantier ou réhabilitation et plus particulièrement à l’heure où se pose la question précise de reconstruire ou de restaurer. Il faut un témoignage visuel à toutes ces mutations. Pour le photographe le traitement des images est prospectif dans la mesure où ses images devront perdurer tout en offrant une narration moderne. Il doit être également capable de faire une sélection qui tienne compte de la pertinence de ses images  afin de les post produire en quantité raisonnable. Le regard continue toujours de s’exercer : on ne lit pas une même photographie de la même façon à plusieurs années d’intervalle… ce qui nécessite un œil exercé et sélectif à bon escient et rend la photographie précieuse… »

AMBROISE Tézenas, Abbaye du Thoronet, dortoir © Ambroise Tézenas / Centre des monuments nationaux

Colombe CLIER, Abbaye du Mont-Saint-Michel, messe dans l’église abbatiale © Colombe Clier / Centre des monuments nationaux

Certains photographes réussissent le tour de force d’allier une vision documentaire de grande qualité à un traitement stylistique et un point de vue plus personnel qui en enrichit la lecture.

« Les photographies devraient être aussi intemporelles que le monument qu’elles  représentent » ajoute Anne Lesage,  mais certains photographes réussissent le tour de force d’allier une vision documentaire de grande qualité à un traitement stylistique et un point de vue plus personnel qui en enrichit la lecture. Pour qui sait la lire ou en prendre le temps, la photographie est une mine extraordinaire de renseignements. Si l’histoire de nos monuments est aussi celle de leur destruction et de leur reconstruction, certaines images dans leur silence nous font entrevoir l’esprit immuable et intemporel qui a animé ceux qui les ont construits.

Françoise Paviot

(1) La Mission héliographique : mythe et histoire – Anne de Mondenard 1997 Etudes photographiques n°2
(2) Bertrand Hugonnard-Roche : Albums de la Cathédrale de Chartres – Etienne Houvet et Yves Delaporte.
(3) Une chambre photographique est un appareil lourd et peu maniable car fixé sur pied. Il permet de faire des images de grand format et a été utilisé dès les débuts de la photographie.
(4) On se perdra avec bonheur dans la consultation de la Base Regards, banque d’images des monuments nationaux

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