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Représenter Dieu : des images-signes toujours parlantes (IIe- XXIe siècles)

Existe-t-il un portrait-robot de Dieu qui permettrait, en notre temps, d’en reconnaître l’image et qui serait universel ? Nous vous proposons une réponse en deux volets. Le premier volet, à découvrir ci-dessous, rend compte de la création de premières images-signes pour dire Dieu. Le second volet nous emmènera à la fin du Moyen Age et vers la modernité. Les premières images-signes ont été suivies de près de dix siècles de représentations de Dieu en Christ « image du Dieu invisible ». Elles disent toute la divinité rendue visible par l’Incarnation, et ces représentations gardent toujours leur actualité.
Publié le 24 octobre 2019

« S’il vous plait, dessine-moi Dieu ».

Cette question, librement inspirée du Petit Prince de Saint-Exupéry, je l’ai souvent posée à des publics d’étudiants et de jeunes (moins de 30 ans). La réponse, parfois dessinée, a, tout aussi souvent, correspondu à ce « portrait-robot » de Dieu : une figure paternelle d’un vieillard barbu, assis, trônant sur un nuage, et auréolé d’un triangle qui évoque à la fois la Sainte Trinité et le Grand architecte, bien avant Viollet-le-Duc ; un rôle que les images médiévales offraient déjà au Dieu créateur (Fig 1). Mais elle n’est pas apparue dans l’art chrétien avant les XIIe-XIIIe siècles, nous dit François Boespflug, qui a consacré de nombreux livres et articles aux images de Dieu (voir « pour aller plus loin »).

Fig 1. Portrait-robot de « Dieu le Père » d’après Gustave Doré, les caricaturistes des XIXe-XXe siècles et Jean Effel © dessin Sylvie Bethmont

Comment représenter Dieu que « jamais personne n’a vu » (Jn 1, 18) ?

L’image de Dieu a évolué, par paliers distincts, dans l’art chrétien d’Occident, donnant lieu à une multiplicité d’occurrences, ce qui rend la lecture difficile à qui n’est pas familier de cette iconographie (ou science des images).
Aux IIe-IIIe siècles les premières figures, créées au sein des monothéismes (art juif et chrétien), ont d’abord été des images-symboles. La première étant celle de la main (droite) de Dieu (Dextera Dei ), sortant des nuées, qui est commune à ces deux religions (Fig 2 ).

Fig 2 Dextera Dei. A gauche : Main de Dieu (« Ossements desséchés » (Ez 37), Synagogue de Doura Europos, IIIe siècle, Syrie. A droite : Main de Dieu créateur, église San Climent, Taül, XIIe siècle, Espagne.

En monde juif, l’image isolée de la main est une convention plastique, séparée de toute corporalité, elle ne contredit pas l’interdiction de la loi de Moïse (Ex 20, 5 ; Dt, 6). Dieu dans son amour extrême, « jaloux », comme l’appelle le Deutéronome, ne peut être représenté par une image sculptée, une idole, comme celle des dieux païens -ces images dont on peut faire le tour- alors que Dieu est invisible et incirconscriptible.

L’Incarnation, peut laisser les artistes démunis, même si elle rend possible la représentation de Dieu au travers des images de Jésus de Nazareth, son incarnation. Il n’existe ni photo, ni reproduction des traits humains que l’on imagine être ceux de cet homme qui est Dieu. Un portrait de Jésus ne peut être qu’iconique, enseignant la transcendance de Dieu, dont les images acheiropoïètes, non faites de mains d’hommes, sont les prototypes des icônes du Christ.
« Dieu, personne ne l’a jamais vu ; le Fils unique, lui qui est Dieu, lui qui est dans le sein du Père, c’est lui qui l’a fait connaître. » (Jn 1, 18 trad. AELF). Mais voir Dieu, nous dit saint Matthieu à la suite du Christ, ne peut se faire qu’en posant des actes. A la question  « Quand nous est-il arrivé de te voir ? » (Mt 25, 35-36), Jésus révèle qu’il est visible dans la personne du plus petit lorsque l’on pose des actes de miséricorde : « J’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! » Ce qui donnera lieu à la thématique des œuvres de miséricorde – si bien représentée par les peintres, dont le Caravage (1571-1610) en l’église Pio Monte della Misericordia (1606-1607), à Naples –article Narthex à suivre.

Des images juives, puis chrétiennes jusqu’à la pub, une longue histoire de la main de Dieu

Une première occurrence de l’image la main de Dieu est peinte sur la niche de la Tora de la synagogue de Doura-Europos en Syrie, (voir le lien vers l’article publié sur Narthex : Les fresques de Doura Europos, premières images chrétiennes.)

Elle figure Sa Présence agissante et Sa Parole efficace, d’abord représentée à la fin du IIe siècle dans la niche de la Tora (Aqueda, ou « ligature » d’Isaac, fin du IIe siècle), puis sur tous les murs de cette salle qui est datée de la première moitié du IIIe siècle (Fig. 2 à gauche).

Cette main isolée, ou combinée à des rayons figurant la lumière divine, ou encore à des cercles imageant la perfection divine, est une figure la voix de Dieu (bat kol en Hébreu).

que l’on ne peut qu’entendre sans le voir. En tant que signifiant Dieu, elle sera figurée dans les images juives et chrétiennes du sacrifice d’Isaac, puis, en monde chrétien, de celles de la Théophanie (Fig 2 à droite) , en particulier celle présidant au baptême du Christ. Ainsi les auteurs s’accordent-ils à identifier (par métonymie) cette image de la main céleste à celle de Dieu le Père créateur (Gn 1, 1).

La main droite de Dieu le Père, dont l’index tendu insuffle la vie à Adam au plafond de la chapelle Sixtine en est un lointain exemple, devenu fameux, qui à son tour va connaître un destin autonome, en étant largement détournée par la publicité des XXe-XXIe siècles (Fig 3).

Fig 3 Création d’Adam, Michel-Ange (Michelangelo-Buonarotti), plafond de la Chapelle Sixtine, Cité du Vatican (vers 1508 – 1512) © Photo Vatican Museums.

Jérôme Cottin souligne qu’en mettant l’homme au centre de la création cet artiste de la Renaissance a « représenté Dieu humain, trop humain », ayant perdu de sa Transcendance mais transférant une parcelle de sa divinité à l’homme par ce geste suspendu. Ce qui peut expliquer la faveur de cette image de pub, le plus souvent réduite aux deux mains, d’un homme divinisé par la toute-puissance de l’art marchand (l’un des premiers exemples est donné par la publicité pour Nokia avec le slogan « Connecting People », 1992, ou Pizza Hut, 2003, voir le catalogue et l’exposition de Gautier Mornas).

De la main de Dieu à la main de l’homme une longue histoire de « déjà-vu » en art

Fig 4 Main négative, grotte de Pech Merle, Gravettien (27000/-20000 av. JC)

Si la main-signe continue de parler au monde d’aujourd’hui, c’est peut-être parce que se sont multipliées, les images de mains isolées. Depuis l’art pariétal préhistorique – qui offre des images si nombreuses de mains négatives et positives – cette partie de notre corps, directement reliée à notre esprit, signifie, par métonymie l’homme tout entier porteur ou vecteur d’une puissance qui le transcende. C’est par sa main, outil de création, que l’homme image de Dieu, s’unit à son créateur. Un abîme et une proximité que l’acte créateur peut faire se rejoindre.

A visiter ! Affiche de l’exposition L’Esprit commence et finit au bout des doigts au Palais de Tokyo

A l’autre bout de notre histoire humaine, la Fondation Bettencourt-Schueller propose au Palais de Tokyo*, une exposition sous le commissariat de Laurent Le Bon, dont le titre est emprunté à Paul Valéry : l’Esprit commence et finit au bout des doigts. La main de l’homo faber, l’homme qui fabrique de ses mains, y est célébré, des mains qui ne sont rien sans pensée, sans esprit.

« Il faut avouer que les mains sont des appareils extraordinaires/Le matin, professionnelle/Et sur rendez-vous/Et le soir, fonctionnelles/ C’est merveilleux. C’est la pince universelle !- Tiens, – et l’esprit ?- Commence et finit… au bout des doigts. » (Paul Valéry, Idée fixe ou deux Hommes à la mer, 1932)

Sylvie Bethmont-Gallerand
enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins

Pour aller plus loin :
Les indispensables livres de François Boespflug, en particulier :
Dieu et ses images, Paris, Bayard, rééd. 2017.
Les théophanies bibliques dans l’art médiéval d’Occident et d’Orient, Genève, Droz, 2012.
Dieu dans l’art à la fin du Moyen Age, Genève, Droz, 2012.

Dieu dans les images de Pub :

Jérome Cottin et Rémy Walbaum, Dieu et la Pub, Cerf, 1997.
Gautier Mornas, Dieu dans la Pub, Cerf, 2016

Sylvie Bethmont, Le Seigneur des absides, Cahier des Bernardins 121, Paris, Parole et Silence, 2017.

Exposition :
L’esprit commence et finit au bout des doigts, 20 ans d’engagement pour l’intelligence de la main® ; du 16/10/2019 au 10/11/2019. À découvrir de midi à minuit, tous les jours sauf le mardi. 13, avenue du Président Wilson 75116 Paris.

 

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