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Françoise CHAMSKA : Peindre Notre-Dame, un cœur à cœur, par Isabelle Renaud-Chamska

Elle ne croyait pas au hasard, disait-elle, mais à la Providence. Lorsque, en 1969, les tribulations de l’existence amènent Françoise Chamska 6 place du Petit Pont, en face de Notre-Dame, elle se souvient que Paul Éluard lui avait dit quand elle avait vingt ans, au sortir de la guerre : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rencontres ». Elle ajoutait alors : « Je peins pour fixer les rencontres ».
Publié le 05 décembre 2024
Le bouquet d’Éluard, Épiphanie 1947
Le bouquet d’Éluard, Épiphanie 1947

Pendant 40 ans, jusqu’à sa mort en 2008, elle a cherché à fixer la rencontre quotidienne qui lui était donné de faire, par pure grâce, du haut de son pigeonnier, en cette fine tour d’ivoire d’où elle contemplait éblouie la cathédrale depuis sa chambre haute qui était aussi son atelier. 

Panorama parisien avec Notre-Dame, années 1970.
Panorama parisien avec Notre-Dame, années 1970.

 

La Reine a mis sa traîne d’apparat, ou Notre-Dame et sa suite, années 1970.
La Reine a mis sa traîne d’apparat, ou Notre-Dame et sa suite, années 1970.

De là, elle découvre Notre-Dame sous un jour totalement inédit, de trois-quarts, dans toute sa longueur, majestueuse mais pas écrasante, bordée du ruban sinueux de la Seine qui vient caresser le flanc sud de la cathédrale, enjambée de quatre ponts qui agrafent l’ile de la Cité à la rive gauche. Ils sont comme les amarres de ce grand paquebot poussé par le courant du fleuve, en route depuis neuf siècles, traçant son chemin immobile de l’orient à l’occident. Ils accompagnent l’œil et rythment le regard jusqu’au fond du paysage où la ville se déploie, comme une traîne accrochée au manteau de la reine. Notre-Dame en Seine, Notre-Dame sur Seine, est un grand vaisseau qui traîne la ville derrière elle pour la faire aborder à l’éternité.

Lever de soleil sur Notre-Dame, 1986.
Lever de soleil sur Notre-Dame, 1986.

Le soleil levant traverse la cathédrale d’est en ouest pour déboucher sur la grande rose occidentale que la lumière gonfle comme un nombril, nombril de Paris et de la France, centre du monde comme était dans l’antiquité l’omphalos de Delphes.

 

 

Au crépuscule, elle est embrasée d’or dans une ciélée de nuages qui la glorifie.

Notre-Dame d’or, ou coucher de soleil sur Notre-Dame, 1986.
Notre-Dame d’or, ou coucher de soleil sur Notre-Dame, 1986.

Qu’il pleuve ou qu’il fasse beau, par temps de brouillard, sous le givre ou la neige, par une nuit de pleine lune ou par un soir d’orage, été, automne, hiver, printemps, c’est une liturgie des Heures que déroulent ces toiles tout au long des jours, poétiques chansons de toiles dans leur travail incessant de tissage pour célébrer la vie.

Les quarante tableaux fruits de sa contemplation ne sont pas des variations sur un thème, ni des études sur la couleur ou la lumière. Ils forment une partition de musique dont les ponts sont les barres de mesure et la cathédrale est la figure célébrée, impériale, impressionnante, mais maternelle, rassurante ; fragile aussi, inscrite comme tout un chacun dans le cycle cosmique des heures et des saisons. Immobile, immuable, la cathédrale bouge pourtant sans cesse sous l’action du ciel en perpétuel changement, et du fleuve qui pousse sa course sans s’arrêter depuis la nuit des temps. 

Chaque tableau a son caractère propre, il dit l’heure qu’il est et l’humeur du peintre, le temps qu’il fait et le sentiment qui anime la main de l’artiste. À chaque instant, la présence matérielle du monument rejoint la sensibilité de l’artiste dont le regard est un filtre et que la main interprète de sa touche rapide, dans sa dynamique d’écriture. Chaque tableau est une rencontre singulière. 

Le portrait que l’artiste brosse de la cathédrale est toujours inclus dans un paysage où se joue le jeu profond des forces de la vie, le ciel, la terre, l’eau, les arbres, la ville avec ses rues et ses immeubles, tous ceux qui y vivent.

 

 

 

 

 

La cathédrale n’apparaît pas ou pas entièrement sur tous les tableaux. On ne voit parfois sur la toile que le ruban du fleuve qui vient lécher son flanc minéral, le haut quai qui lui sert d’assise. L’accent est mis alors sur la Seine qui s’écoule vers le spectateur dans la diagonale de la toile, placide ou inquiétante, toujours profonde. Les ponts dessinent une partition sublime qui donne figure au temps et à la mémoire humaine investie dans la terre dont les arbres chantent le perpétuel renouvellement. La cathédrale s’invite par l’imagination, portée par la force de la peinture.

 

Alors les branches des arbres, roses, noires, grises, tendues ou tordues, rappellent l’œil à la verticalité du monument estompé ou invisible. Le square devient lui-même une embarcation glissant le long de la Seine, toutes branches dehors, modeste chaloupe du navire amiral. Les immeubles sur la rue, ourlés de terrasses de cafés, criblés d’innombrables fenêtres, évoquent la présence multiple des êtres humains vivant et souffrant à l’ombre de la cathédrale qui reçoit leurs plaintes et leurs joies dans son cœur tout proche. Les festons des ponts, clairs le jour, sombres la nuit, enjambent le fleuve reliant les foules humaines à la grande dame invisible.

Les ponts de Notre-Dame sur la terre comme au ciel, 1986.
Les ponts de Notre-Dame sur la terre comme au ciel, 1986.

Même lorsqu’elle disparaît complètement du cadre du tableau, la cathédrale est le lieu de cet échange des forces dynamiques du ciel et de la terre, de l’incarnation du divin, de la spiritualisation de la matière. Les ponts bleus reflétés dans les nuages évoquent cet échange subtil entre la terre et le ciel, dont la cathédrale signe la rencontre.

 

 

 

 

 

Notre-Dame rouge ou Le Phénix, 1975.
Notre-Dame rouge ou Le Phénix, 1975.

Dans les jours qui ont suivi l’incendie, l’idée est venue de rassembler les tableaux sur Notre-Dame dispersés dans des collections privées, et d’offrir ces toiles à la contemplation du plus grand nombre, pour essayer de calmer les plaies et adoucir le deuil de cette charpente effondrée, de la flèche partie en fumée. Et le traumatisme de cette nuit de cauchemar où nous avons pensé (et le monde entier avec nous) que la cathédrale allait s’écrouler sur elle-même.

 

 

 

 

Pleine lune de printemps sur la flèche de Notre-Dame, années 1980
Pleine lune de printemps sur la flèche de Notre-Dame, années 1980

Cette exposition a eu lieu à la mairie du 5e en juin 2022, permettant pour la première fois de rassembler le saisissant ensemble des 40 « portraits » de la cathédrale fixés par le pinceau, une mosaïque dessinant le visage immuable et toujours nouveau de Notre-Dame vu par une artiste, une femme, qui a vécu un face à face avec elle, ou plutôt un cœur à cœur, au long de ses jours et ses nuits, par tous les temps, sous toutes les lumières, de l’aube au crépuscule, et nous en communique la beauté, la fraîcheur et la profondeur. Elle a été redonnée en 2023 à la mairie de Paris-Centre, dans le cadre du Festival chrétien du Marais. Une quinzaine de toiles sont exposées actuellement à la Bibliothèque polonaise de Paris, dans l’Ile Saint-Louis, au chevet de la cathédrale, pendant ces jours qui célèbrent la renaissance de Notre-Dame, sortie de ses cendres telle un phénix, ayant retrouvé sa flèche par la grâce de Dieu et le travail des hommes.

 

 

Un catalogue garde mémoire de l’exposition « Françoise Chamska, Notre-Dame en Seine » en juin 2022. Il rassemble toute la série des « Notre-Dame » de l’artiste ainsi que de nombreux autres tableaux, fruits d’une vie tout entière vouée à la peinture. Il est disponible à La Procure-Saint-Sulpice, rue de Mézières, Paris 6e, ou par courrier à isabelle.renaud.chamska@gmail.com

 

 

 

 

 

Isabelle Reanaud-Chamska

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