Le film, au début un peu lent, est globalement traité comme un conte. Il présente un scénario assez classique, accessible à tous, pas dans le style abscons des films de Lynch plus récents. On y retrouve cependant de temps à autre des figures de style propre au cinéaste avec ces images fantastiques de rêves/cauchemars surréalistes en fondu ou superposées, comme dans le prologue où la mère de Merrick est renversée (symboliquement violée ?) par des éléphants. Le film évoque beaucoup l’Angleterre industrielle du 19ème s., celle du charbon et des bas-fonds, comme pour mieux faire le parallèle entre la monstruosité de cette ère qui s’ouvre et celle de cet homme difforme. Avec l’éclatement de cette noire industrie et l’exploitation des plus pauvres, l’homme ne serait-il pas voué à devenir un monstre lui aussi, semble dire le récit ?
Dans le film, on côtoie le mal contre le bien, parfois de manière un peu caricaturale, parfois aussi de manière beaucoup plus subtile quand Lynch filme les regards et s’attarde sur les visages… Regards de tous ceux qui veulent voir cet homme, ce freak, le phénomène de foire. Chez certains, ce regard glissera du voyeurisme, vers le regard clinique puis de compassion, jusqu’à l’envie de rencontre et même l’amitié, comme c’est le cas du médecin Frederick Treves joué par Anthony Hopkins. John Merrick bouleverse la vie de ceux qui l’acceptent, le regardent en face sans peur et cherchent à l’aimer tel qu’il est. Dans la dernière demi-heure le film gagne vraiment en intensité, avec des moments d’intense émotion, par exemple lors de cette scène mémorable dans une gare de Londres lorsque John Merrick en fuite, harcelé par la foule, hurle « Je ne suis pas un animal, je suis un homme ! » (formidable John Hurt) ou encore lorsqu’il déclare à son ami « Je suis un être accompli parce que j’ai été aimé ».
Un film humaniste, profond qui, malgré les années, touche juste et mérite d’être (re)vu.