La fête de l’Ascension est instituée à la fin du IVe siècle (380-430) ; une plaque d’ivoire conservée au Musée bavarois de Munich, que l’on nomme l’ivoire Reider, en est contemporaine (400). Cette image montre, comme dans l’évangile selon saint Luc, l’Ascension terminant la journée pascale. Nous sommes ici invités à élever notre esprit depuis le tombeau vide, où les trois Marie sont en quête du corps de Jésus (Mc 16), jusqu’au ciel où la main du Père hisse le Christ. La simplicité presque enfantine de cette image ne doit pas nous tromper, car c’est au cœur du mystère du Salut et de la vie trinitaire qu’elle nous emmène.
Depuis la terre…
En bas de l’image, devant le tombeau vide – auquel l’artiste a donné l’architecture de l’édicule de l’Anastasis (de la Résurrection) bâti au temps de Constantin à Jérusalem – l’ange envoie les trois femmes en mission : « allez dire à Pierre et aux disciples » que le crucifié n’est pas ici.
Ce geste de l’ange est repris par la grande diagonale qui traverse le deuxième registre de cette image jusqu’aux nuées d’où surgit la main du Père.
Face au mystère
Au centre de l’image quatre témoins sont saisis dans des attitudes contrastées : deux regardent et deux se cachent les yeux.
Le tombeau du Christ a été veillé par des gardes qui sont figurés ici de part et d’autre du clocheton de l’Anastasis (Mt 26-28). A gauche de l’image, le soldat portant la lance peut rappeler la crucifixion et le commentaire de l’évangile de Jean (19, 37) : « ils regarderont celui qu’ils ont transpercé ». Face au mystère, l’un devient témoin alors que l’autre reste dans le sommeil et le refus. Ce sommeil est aussi celui du disciple prostré sur le rocher sous les pieds du Christ. Il peut aussi être un rappel de l’attitude des disciples au jardin de l’agonie à Gethsémani (Mt 26 ; Mc 14 ; Lc 22 ; Jn 18).
Mais voici que se redresse ce dernier disciple figuré à droite. Il ouvre les mains en signe de prière, témoin du mystère. « Eveille-toi Ô toi qui dors (…) Relève-toi d’entre les morts et le Christ t’illuminera » (Epiphane de Salamine).
« Dieu l’a ressuscité » (Ac 2, 24)
La croix n’est plus l’instrument d’un supplice infamant, ressuscité, le Christ nous ouvre la voie du paradis. Ici l’arbre, où « tous les oiseaux du ciel viennent habiter » (Ps 104, 2), nous dit que ce bois glorieux est le nouvel arbre de vie.
Le geste du Père, dont la main jaillie des cieux hisse le Fils en son Ascension, est celui de Son amour compatissant : « Voici que le Fils de Dieu, dans sa Résurrection, a fait l’expérience radicale de la miséricorde, c’est-à-dire de l’amour du Père plus fort que la mort. » (Saint Jean-Paul II, Dives in Misericordia, 30 novembre 1980, 8 § 7).
Ici aussi cette image peut nous paraître presque enfantine, mais pour un contemporain du Ve siècle, elle fait partie de la vie quotidienne car figurée sur les monnaies impériales. Le geste du Père est le même que celui de l’Empereur vainqueur, empli de la piété romaine, qui libère et fait ressurgir un peuple, une province ou une ville. En voici exemple sur cette monnaie de l’empereur Hadrien (IIe siècle), qui le figure en Restitutor Hispaniae.
Sans limites ni fermeture
D’autres images de l’Ascension, créées au temps de Constantin, viendront remplacer ce motif. Elles trouveront une large postérité dans l’art roman et gothique et jusqu’aux temps contemporains.
Ainsi ce détail de l’évangile de Rabula nous montre le Christ, porté par des anges, dans une mandorle, jusqu’aux cieux où veillent le soleil et la lune.
« Le corps du Christ ressuscité ne connaît plus ni limites ni fermeture » (saint Ephrem). Il anticipe les cieux nouveaux et la terre nouvelle auxquels nous sommes appelés. Lorsque le Christ est élevé, l’Esprit, « la force d’en-haut », est communiqué aux hommes (Lc 24, 49). Cette force qui permet aux chrétiens d’être témoins et d’aller jusqu’aux extrémités de la terre.
Sylvie Bethmont, enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins, Paris.
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Pour aller plus loin
Sources textuelles : Mc 16, 15-20 ; Lc 24, 50-53 ; Ac 1, 9-11.
Jean-Marie TEZE, Théophanies du Christ, Paris, Desclées, 1988.
Jean-René BOUCHET, Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes, Cerf, 1994 p. 186-189.