Voir toutes les photos

[Décryptage] Doux et humble agneau divin

Deuxième volet d'un cycle consacré aux représentations de l'agneau, par Sylvie Bethmont. Zurbaran, peintre de la Contre-Réforme a réalisé, à plusieurs reprises, le portrait d’un agneau pattes liées. Pourquoi une telle insistance ?
Publié le 22 novembre 2017

Francisco de Zurbaran (1598-1664), vers 1635-1640, © Musée du Prado, Madrid.
Un agneau

Il est seul, on ne peut voir que lui. C’est un tout jeune bélier, un agneau mâle, dont la toison, depuis sa juvénile tête ronde jusqu’à ses pattes soyeuses, irradie de lumière. Il semble fait pour être caressé, cajolé, pour gambader librement, mais la violence est bien là, comme latente, car ses pattes sont liées. Son cou est posé de tout son long sur la pierre. Il attend.

Ses cornes dorées semblent retomber, comme ses oreilles, discrets signes de désolation que le regard voilé et lointain vient confirmer (dét.2). Peut-on dire qu’il sourit avec douceur ? Son museau, où palpitera son dernier souffle, est indiqué par la seule tache de chair rose, au sein d’un ensemble de tons gris, noirs, ors et bruns.

Nous pouvons être émus par les quelques fils, échappés de la masse granuleuse de la toison. Ils ondulent, légère crête sur la tête et le corps. D’autres viennent strier la bouche, ourler le regard. On aimerait passer la main dans la toison pour en éprouver la douceur et la vigueur, et faire que le regard, comme le cou, se redressent sous ce geste de consolation. Mais l’agneau de Zurbaran est seul, résigné, et il attend son heure proche. Car l’agneau est, dans tout le bassin méditerranéen, l’animal du sacrifice.

Quel agneau ?

Zurbaran est un peintre de la Contre Réforme catholique, il a représenté plusieurs fois un agneau aux pattes liées. Certaines de ces œuvres sont plus explicites que celle-ci. L’agneau gît devant l’enfant Jésus dans l’Adoration des Bergers conservée au musée de Grenoble ; sur la version conservée à San Diego (Californie) sa tête est ceinte d’une auréole et une inscription court sur la pierre « TANQUAM AGNUS », citation du prophète Isaïe : « Comme un agneau conduit à l’abattoir » (Tanquam agnus ad occisionem ductus est, Is 53, 7).  Ce texte, appelé « chant du serviteur souffrant » par les chrétiens, est traditionnellement lu le vendredi Saint. Il est appliqué au Christ, Messie immolé, « l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » selon les termes de Jean Baptiste (Jn 1, 29-34).

Le Christ agneau et Pasteur

La parabole de la brebis perdue est une parabole de la Passion (voir article Décryptage – Bergers et agneaux). « Le Christ qui était de condition divine …a pris la condition de serviteur » (Ph 2, 6). En s’incarnant, en vivant sa Passion, en ressuscitant, le Christ, qui est le Bon Pasteur, a donné sa vie comme un agneau sacrifié, mais librement.

L’agneau peint par Zurbaran est vraiment un portrait, celui du Christ seul, abandonné de tous, tel le serviteur d’Isaïe (Is 52, 13-53, 12). Mais il irradie d’une douce lumière qu’aucune ténèbre ne pourra éteindre. N’oublions pas que cette péricope d’Isaïe, lue le vendredi Saint, commence par ces mots : « Mon Serviteur réussira, dit le Seigneur, il montera, il s’élèvera, il sera exalté !» (Is 52, 13). L’agneau divin est vainqueur à jamais. Alleluia !

 

Par Sylvie Bethmont, enseignante à l’Ecole cathédrale de Paris

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *