Geerten Sint Jans, (le petit Gérard de Saint-Jean), est l’un des premiers peintres des Pays-Bas à utiliser l’huile, une technique des artistes italiens de la Renaissance qui permet des glacis et des transparences. Il nous donne à voir le mystère de l’Incarnation dans la lumière de la gloire divine qui sourd dans la nuit. Sur le fond brun et noir, quelques taches de lumière forment une ronde qui descend du ciel et y remonte par les mains et le corps ployé de Marie.
Nocturne
En haut l’ange-phalène annonce aux bergers la Bonne Nouvelle (Lc 2, 8-20). L’étincelle du feu de camp fait écho aux habits des anges.
Quand Dieu se fait homme, à travers l’abaissement dans la chair, c’est sa gloire que contemplent les hommes, à commencer par les plus humbles, les bergers avertis par ces êtres spirituels. Or ce que les anges annoncent aux Bergers c’est d’abord une grande joie : l’enfant dans la crèche dit la gloire de cet abaissement inouï. Tout homme, fait à l’image et à la ressemblance de Dieu (Gn 1, 26) va, dès aujourd’hui, pouvoir vivre de cette gloire qui illumine la nuit : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi./ Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse » (Is 9, 1-2).
Bienheureux sont les hommes qui reconnaissent en l’enfant de la crèche leur rédempteur : « Voici que resplendit la crèche/La nuit exhale un jour nouveau/Nulle nuit ne peut l’arrêter/Brillant d’une éternelle foi » (saint Ambroise de Milan, Hymne 5,25-32)
Le signe de l’enfant
L’enfant est la source lumineuse de l’ensemble. Contrairement à d’autres Nativités qui lui sont contemporaines (comme celle d’Hugo van der Goes) nulle inquiétude ne vient troubler ceux qui semblent seulement occupés à s’émerveiller et prier. Cette nuit n’est pas celle de l’angoisse, de la peur, ni du doute devant l’extrême fragilité de ce petit. La sérénité et la retenue enveloppent les animaux, les hommes et les anges. Bien avant Georges de la Tour, le « petit Gérard de Saint-Jean », ce peintre des Pays-Bas qui ne vécut qu’une trentaine d’années, nous montre la naissance du Verbe comme une lumière jaillie dans la nuit du monde. « Et le Verbe s’est fait chair », lumière née de la lumière, vrai Dieu né du vrai Dieu, selon le symbole de Nicée Constantinople et le prologue de saint Jean (Jn 1,1-14). Des ténèbres du péché, les fils d’Adam, voient surgir une grande lumière dont l’origine est totalement inattendue puisque c’est un tout petit enfant qui vient de naître.
Le ciel s’unit à la terre ombreuse pour admirer dans la prière « la véritable lumière, qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme » (Jn 1, 9). Dans l’ombre l’âne, le bœuf et Joseph demeurent humbles et discrets.
Une œuvre de dévotion
De petite taille (24, 4 x 18, 4 cm- pour mémoire nos feuilles d’imprimantes mesurent 21 x 29,7 cm), ce tableau est l’une de ces œuvres de dévotion à caractère privé qu’encourage le mouvement de la Devotio moderna, fondé dès la fin du XIVe siècle dans les Pays-Bas du Nord. Se répandent alors de nouvelles sources pour l’iconographie. Ainsi les écrits de Sainte Brigitte de Suède (1303-1373), en particulier ses Révélations, éditées à Anvers en 1489, relatent sa vision du Christ nouveau-né tout rayonnant « d’une telle ineffable lumière et d’une splendeur telle que le soleil ne peut lui être comparé ». En cette nuit du monde, Gérard de Saint-Jean nous dit avec ses pinceaux que la Parole de Dieu s’est faite brève et que nous pouvons voir sa gloire. Nous n’avons pas reçu d’autre signe !
Devant la merveille, chacun prie.
Sainte Brigitte écrit que l’enfant à peine né, Marie, sa mère, s’est agenouillée, ce que le peintre représente. Elle veille aux pieds de l’enfant couché, quelques mèches s’échappent de la nappe de ses cheveux sous le voile. Elle est à la fois Vierge et mère, la jeune fille qui vient d’enfanter Dieu, la Théotokos, selon la formule des Pères du concile d’Ephèse (431). Bouche à peine entrouverte, comme Joseph son époux qui reste dans l’ombre, elle médite toutes ces choses en son cœur. Ce tout-petit, chair de sa chair, est la Parole de Dieu qui s’est faite impuissante pour nous rendre des forces. Mais son corps est si minuscule dans cette mangeoire semblable à un tombeau de pierre !
Jésus-ostie, dont le corps irradie, illumine la nuit du monde. Il est déposé nu dans une crèche – mangeoire- tombeau-autel car il vient nous nourrir du froment de sa chair. La Parole de Dieu tout-puissant s’est faite enfant vagissant pour être déposée dans la mangeoire des animaux – l’âne et le bœuf que la tradition assimile au peuple juif et au peuple païen. Hier comme aujourd’hui, l’humanité tout entière peut reconnaître le pain de vie en cet enfant aux mains recroquevillée. Petites mains qui devront apprendre à saisir, à rompre, à donner et guérir avant d’être transpercées.
« De main, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas/Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las/Ta main, bouton clos, rose encore gênée, /O mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée. » Marie Noël, extrait de la « Berceuse de la Mère Dieu », Les Chansons et les heures, Le Rosaire des joies, NRF, Gallimard, 1983.
Sylvie Bethmont
enseignante à l’Ecole cathédrale, Collège des Bernardins
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Pour aller plus loin :
L’on peut méditer avec Benoît XVI, « La Parole de Dieu (qui) s’est faite brève » (Verbum abbreviatum) – Messe de minuit solennité de la Nativité du Seigneur en la Basilique Vaticane, le Dimanche 24 décembre 2006.