Quelques années après le préquel Prometheus, Ridley Scott a donc repris les rennes de la saga Alien en réalisant son reboot, Alien : Covenant*. L’australien Neill Blomkamp, réalisateur de District 9, avait pourtant annoncé qu’il réaliserait ce cinquième volet dans la lignée d’Aliens le retour de James Cameron. Sigourney Weaver, actrice phare de la saga, elle-même, l’avait adoubé en déclarant qu’elle reprendrait le rôle du lieutenant Ripley devant sa caméra. Et de déclarer qu’elle n’aimait pas la tournure que prenaient les métamorphoses actuelles de la saga. Il était temps donc de redonner aux fans une suite qu’ils attendaient depuis longtemps. Il est vrai que cette saga passionne des millions de cinéphiles depuis Alien le Huitième passager, un des plus grands films de Ridley Scott. L’histoire en a voulu autrement. Le célèbre réalisateur, probablement attiré par des enjeux financiers, a repris le projet en main. Projet qu’il présente à la fois comme un développement de Prometheus et comme la reprise de la saga, centrée sur la figure du monstre.
Ce nouvel opus se présente comme œuvre bancale ou inégale. Hésitant dans son scénario, sans unité de lieu et avec un casting assez neutre, le film, comme c’est souvent le cas chez Ridley Scott, est cependant très soigné sur le plan artistique, avec des images somptueuses. Les prises de vue spatiales et les paysages naturels sont extraordinaires.
Le réalisateur a choisi d’utiliser le plus possible des effets spéciaux traditionnels et ne pas trop recourir au numérique. Un goût de l’authenticité qu’évoque Neil Corbould, superviseur des effets spéciaux : « Ridley aime utiliser de vraies créatures autant que faire se peut. C’est le cas pour l’Alien : dès qu’il le peut, il utilise le vrai. Rien de tel pour conserver le ton de la saga. Pour moi, c’est là que repose l’horreur, sur ces petits mouvements dans le noir. Nous essayons de rester fidèles à l’original.«
Il en résulte que le film n’est ni vraiment mauvais ni vraiment réussi. Côté horreur, une ou deux scènes, tournées caméra à la main, sont particulièrement effrayantes. Est-ce suffisant pour autant ? On ne retrouve pas l’intensité du « Huitième Passager ». L’art cinématographique de la suggestion et du dévoilement progressif, qui créait un véritable effroi et qui faisait la force du premier opus, semble ici réduit à une peau de chagrin.
Sur le plan du sacré et du mythologique, Le « Huitième Passager » pouvait être regardé comme une métaphore de l’origine du Mal. Le dessin de la créature était le résultat d’une sorte de synthèse de figures diaboliques, issues de cultures antiques ou moyenâgeuses. Surtout, le film ne donnait aucune explication sur les origines du monstre. D’où vient-il ? Pourquoi cherche t-il à tuer ? Peut-on le chasser ? Terrorisés, les équipiers du vaisseau finissaient eux-mêmes par se diviser et devenaient à leur tour des «aliens» – des étrangers- les uns pour les autres, retrouvant leurs instincts animaux (chasser/être chassé). Sous les traits du film de science-fiction et du film d’horreur, nous avions donc une œuvre terrifiante et l’illustration d’une figure du Mal à l’écran.
« Alien Covenant » prend le parti de démontrer et d’expliquer le mystère lié au monstre, s’attachant à déconstruire progressivement le mythe qui l’entoure, vidant ainsi le film de tout suspens et de toute saveur surnaturelle. Ne s’intéressant que très peu à l’équipage et à ses acteurs, le réalisateur fait du personnage de l’humanoïde l’origine et le centre du récit (Fassbender tient le haut du casting).
A ce sujet, le prologue du film, belle scène inaugurale, donne la clef. Le robot humanoïde et son créateur, le maître et le serviteur, se découvrent, entament un dialogue convenu puis tendu. Le serviteur ici, n’est pas celui que l’on croit. L’humanoïde, conscient de sa puissance, sait qu’il détient l’immortalité et finit par lancer à son maître «Si vous êtes mon créateur, qui est le vôtre ?». Question retentissante qui laisse le maître sans réponse et à laquelle le film répondra en évacuant la notion de Dieu. Il nomme à la place un autre Créateur, élaboré par la technologie et la main de l’homme lui-même. Perfection scientifique, figure du clone, recherche de la puissance et de l’intelligence artificielle, toutes ces notions développées dans le film prennent la place d’un questionnement métaphysique. Ici nous sommes davantage dans une réflexion philosophique à l’image du surhomme de Nietzche. Le film semble fasciné par la recherche de l’être parfait. Un être en quête de puissance absolue qui a dépassé les notions de bien et de mal tout comme le postulat d’une existence divine. Nous finissons par connaître le père du monstre à travers cet androïde inquiétant, lui-même monstrueux, qui joue les apprentis sorciers, guidé par l’obsession d’engendrer lui-même et de se mettre à la place de Dieu.
Ici, nous sommes davantage dans une réflexion philosophique à l’image du surhomme de Nietzche.
Là réside précisément la faiblesse du film : vouloir (tout) révéler. La franchise semble désormais n’avoir plus aucun secret. Cette démythologisation, l’explication ou la traduction d’un mythe qui ne devrait pas l’être, est celle qu’opère « Alien Covenant » par rapport au « Huitième Passager », presque 30 ans après. Elle illustre non seulement le glissement qui s’est opéré dans la production cinématographique mais aussi au sein de notre culture.
De quel glissement parlons-nous ? Si l’on regarde la plupart des reboots actuels, force est de constater que beaucoup perdent en intensité et en arguments ; ils se concentrent toujours plus sur la technologie et les effets spéciaux. La mode récente du reboot au cinéma, elle-même, montre que la réhabillage moderne du film compte plus que de créer du nouveau, plus que l’envie de retranscrire la magie et le mythe qui faisaient la réussite des anciennes sagas (cf. Star Wars avec Disney). L’industrie du cinéma, cherche à rejoindre la nostalgie du spectateur à vouloir revivre des films du passé qui l’ont passionnés mais sans être capable d’en retrouver la saveur cinéphilique.
Autre aspect de ce glissement, Alien, comme bien d’autres franchises, porte aussi les traits d’une société où la culture dominante ne se rattache plus au « religieux » ou au sacré, mais au rationalisme et au scientifique. Une société de laquelle les récits mythologiques et fondateurs ont été évacués. Or, si le cinéma perd cette capacité à ouvrir l’homme à une dimension spirituelle et humaniste, s’il est basé sur les seuls critères économiques du « ça va marcher», il perd aussi son rôle d’être, comme art, un « substitut du sacré.»** C’est ce à quoi nous assistons avec ce nouvel Alien qui, contrairement à celui de 1979, a délaissé toute forme de communication du «sacré» et du « culturel », eux-mêmes en train de s’estomper de notre monde moderne.
Pierre Vaccaro
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* Avertissement : le film ne convient pas à un public de moins de 12 ans.
**Propos de Marcel gauchet (Interview accordée à la revue de la Cité de la musique (n°55 sept 2007).