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UNE ANNEE NOUVELLE : LE COURS DU TEMPS

Chaque année reviennent les rites traditionnels qui ponctuent le cours du temps. Nous vivons ainsi sans nous en rendre compte la complexité du temps qui passe tout en se répétant, dans un jeu enchevêtré d’avancements et de piétinements. Une forme musicale particulière est construite précisément sur cette dialectique.
Publié le 08 janvier 2025
Écrit par Emmanuel Bellanger

Comme chaque année en janvier, nous ‘’arrêtons’’ le temps, celui qui est passé et celui qui vient, pour nous souhaiter une ‘’bonne année’’, que nous espérons meilleure que la précédente. Cela nous permet de raviver la flamme qui continue de briller, souvent faiblement, dans la nuit des évènements du monde. Comme le chante si bien Robert Desnos, malgré la violence et la guerre, l’espoir demeure :

    

 

« Âgé de cent mille ans, j’aurais encore la force
De t’attendre, ô demain pressenti par l’espoir.
Le temps, vieillard souffrant de multiples entorses,
Peut gémir : le matin est neuf, neuf est le soir. […]

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore
Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent. »

Le temps que nous vivons au jour le jour est fait de mouvements et d’arrêts. La musique fonctionne de cette manière dans son appropriation du temps. Il est une forme musicale qui est construite sur cette opposition mouvement/immobilité : il s’agit de la passacaille.
A l’origine, la passacaille était une danse lente à trois temps venue d’Espagne. Cette danse a progressivement oublié sa nature rythmique pour devenir une architecture particulière, une manière propre de construire un morceau de musique.
Sur une basse dite obstinée de quatre mesures se répétant d’un bout à l’autre de l’œuvre, le compositeur échafaude une progression thématique, rythmique, instrumentale variée. A l’image de notre façon de vivre le temps, la musique suit son chemin sur une basse toujours identique. Il n’y a pas d’objectivité du temps, nous le savons bien : parfois nous avons l’impression qu’il n’avance pas, parfois au contraire, il nous échappe. Voici quelques exemples de passacailles. Dans certains cas, ce n’est qu’un jeu musical qui permet au compositeur de déployer ses capacités d’invention entre contraintes et libertés, mais la forme de la passacaille nous conduit parfois sur des sentiers inattendus. 

 

La tragédie lyrique de Lully Renaud et Armide est la dernière qu’il ait écrite en 1686. Les aventures d’un chevalier et d’une magicienne, cœur de l’action, ne sont qu’une occasion de proposer une belle musique comme cette passacaille :

 

Voici une passacaille appelée ici chaconne, mais c’est du même procédé musical qu’il s’agit, pour un seul instrument : ici la basse est soit, effectivement présente, soit sous-entendue mais réellement perceptible dans la conduite mélodique des différents passages et dans leur construction harmonique.
Chaconne de la Suite en ré de Jean-Sébastien Bach pour violon seul :

 

L’âge classique et romantique a ignoré cette forme d’écriture musicale. Les compositeurs du XXème siècle l’ont redécouverte et y ont puisé de nouvelles sources d’inspiration comme, par exemple, Benjamen Britten (1913-1976) dans cette passacaille extraite de son opéra Peter Grimes :

 

Voici un autre exemple d’une passacaille de notre temps : la première symphonie d’Henri Dutilleux (1916-2013) s’ouvre sur une passacaille dont la basse est aisément perceptible tout au long de l’œuvre par son rythme caractéristique presque obsédant, d’abord sur les pizzicati des contrebasses, thème que l’on entend trente-cinq fois !  

 

Mais la technique de la passacaille peut devenir une porte susceptible de nous conduire sur des sommets que l’on n’aurait pas soupçonnés.
Pour chanter le Crucifixus de la Messe en si, Bach choisit la passacaille. Un thème descendant chromatiquement en mi mineur sur quatre mesures  est répété douze fois sans changement, comme une marche funèbre sur laquelle le temps déroule son chant et ses harmonies riches de modulations et d’un jeu subtil de consonances/dissonances. Au bout de ces douze occurrences, Bach en ajoute une treizième inattendue, la seule qui se conclue sur la tonalité plus lumineuse de sol majeur.
La musique ajoute à cette méditation grave une dimension qu’elle seule peut apporter : nous sommes ici au-delà du temps, celui immuable de la basse et celui passager du chant. L’évènement de la mort du Christ s’est passé à un moment précis du temps, mais c’est pour tous les temps, pour aujourd’hui et pour demain. Cet évènement grave s’ouvre comme ce passage de la messe en si, sur la lumière de la résurrection, annoncée discrètement par la rupture de la basse obstinée, non plus fermée en elle-même dans son dessin plongeant mais éclairée par l’accord de sol majeur inattendu.

 

Qu’une espérance confiante nous accompagne tout au long de cette nouvelle année.

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