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Un chant de louange (1/2)

Le psaume 150 est pour les musiciens une source inépuisable d’inspiration. Le psalmiste évoque dans cette doxologie conclusive du psautier tout ce qui produit la musique, le souffle, les percussions, le chant. Voici un bel exemple venu d’un compositeur qui a connu dans sa vie des évènements dramatiques que la musique transfigure. Il n’est pas inutile de nous mettre à sa suite en ces temps incertains et menaçants qui sont les nôtres.
Publié le 30 avril 2024
Écrit par Emmanuel Bellanger
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Emmanuel BellangerAprès des études au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et à l’Institut Grégorien, Emmanuel Bellanger a mené une carrière d’organiste comme titulaire de l’orgue de Saint Honoré d’Eylau à Paris, et d’enseignant à l’Institut Catholique de Paris : Institut de Musique Liturgique et Institut des Arts Sacrés (aujourd’hui ISTA) dont il fut successivement élu directeur. Ancien responsable du département de musique au SNPLS de la Conférence des évêques de France, il est actuellement directeur du comité de rédaction de Narthex. Il s’est toujours intéressé à la musique comme un lieu d’expérience sensible que chaque personne, qu’elle se considère comme musicienne ou non, est appelée à vivre.

Anges musiciens, fresque murale dans la chapelle axiale de la Cathédrale Saint-Julien du Mans
© Daniel Clauzier cc by-sa 3.0

Heinrich Schütz (1585-1672) a traversé une époque de grande violence en Allemagne : la guerre dite de Trente Ans (1618-1648) fut une effroyable période de destructions et de violences. Dans sa vie personnelle, il affronta la mort de sa jeune épouse après seulement à peine six années de mariage (1625), lui restant fidèle jusqu’à sa propre mort. Pourtant rien ne paraît de tout cela dans sa musique qui respire la joie, la vie, la danse, la confiance. Ce psaume 150 est un beau représentant de son œuvre.

Il suit une forme alternée entre solistes et deux ensembles vocaux qui dialoguent ou se mêlent en un unique chant. Chaque verset est d’abord chanté par les solistes, en commençant par les voix les plus aigües, puis repris par les deux chœurs. La musique emplit l’espace et crée un sentiment de relief qui emporte l’auditeur dans la louange du Dieu en qui Schütz n’a jamais douté. On peut déceler dans cette répartition en deux chœurs le fruit recueilli par notre compositeur auprès de Giovanni Gabrieli dont il suivit l’enseignement à Venise.

Alleluia ! Lobet den Herrn in seinem Heiligtum, lobet ihn, in der Feste seiner Macht.
Alléluia ! Louez le Seigneur dans sa sainteté, louez-le au faite de sa puissance,
Lobet ihn in seiner Taten, lobet ihn in seiner grossen Herrlichkeit.
Louez-le dans ses actions, louez-le dans sa grande magnificence.
Lobet ihn mit Posaunen, lobet ihn mit Psaltern und Harfen,
Louez-le avec les trombones, louez-le avec les psaltérions et les harpes,
Lobet ihn mit hellen Cymbalen, mit wohl klingenden Cymbalen.
Louez-le avec les claires cymbales, avec les cymbales retentissantes.
Alles was Athem hat, lobe den Herren. Alleluia !
Que tout ce qui a du souffle loue le Seigneur. Alléluia !

Après les cymbales retentissantes, un long silence suivi d’un total changement de tonalité et de rythme donne à la suite du chant une densité encore plus intense : ce ne sont plus seulement les instruments qui sont invités à chanter la gloire du Seigneur, c’est tous ceux qui entendent cette musique, nous aussi, qui sont associés à l’alléluia final. Malgré les vicissitudes du monde, malgré les menaces venues de partout – guerres, climat – les chrétiens, à la suite de Schütz, ne perdent pas confiance en Celui qui leur a promis de ne jamais les abandonner.

On découvre à l’écoute de cette brève page la force contenue dans les mots, mais que seule la musique est capable de révéler : la répétition vigoureusement rythmée de Lobet ihn tout au long de l’œuvre nous montre ce que signifie « Louez-le ! », pas seulement des mots mais un acte corporel. La louange, ce ne sont pas que des proférations, c’est la totalité de ce que nous sommes qui est louange, nos corps emportés par la danse dans laquelle nous entraîne Heinrich Schütz.

Voici une autre mise en musique de ce même psaume 150 sur le même texte allemand par un compositeur surtout connu comme organiste (il a formé la plupart des grands noms de l’orgue au XVIIème siècle dans le nord de l’Europe) : Jan Pieterszoon Sweelinck (1562-1621). Il s’agit ici d’une écriture pour un chœur à huit voix sans accompagnement instrumental, encore écrit dans la grande tradition de la polyphonie du XVIème siècle. Mais c’est bien le même esprit, une musique proche de la danse, comme un geste de gratuité musicale à la gloire de Dieu.

— Emmanuel Bellanger

Commentaires
  1. De Jean NAU
    15 octobre 2024

    Bonjour,
    Petit problème de jeunesse d’un nouveau site, je suppose… ans cet article ‘Emmanuel Bellanger, il semble exister 2 pas , mais pas de lein visible pour aller à la 2ème. Et surtout, je ne vois pas d’accès aux 2 musiques annoncées (Shultz et Sweelinck). Est-ce un bug, ou ne suis-je pas assez dégourdi pour trouver ?
    En tous cas, merci pour ce site rénové, que je vais découvrir progressivement.
    Cordialement,

    1. De Charlotte Lebrethon
      17 octobre 2024

      Cher Monsieur,
      Merci pour votre vigilance ! Effectivement, les liens vers les vidéos n’avaient pas supporté la mise à jour du site. Je viens de les réinsérer. Le second article de la série « Un chant de louange » est disponible en allant sur l’onglet « Réflexions » puis « Autour de la musique ».
      Bonne visite !
      Charlotte, pour Narthex.fr

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