Un homme à la foi toute simple
Elevé dans la foi catholique, ayant exercé toute sa vie la fonction d’organiste liturgique, d’abord à l’abbaye Saint Florian près de Linz puis à la cathédrale de cette ville, Bruckner était un homme de grande humilité fidèle à ses origines modestes (son père était instituteur). Cette humilité fut pour lui d’un grand soutien : quelle joie toute intérieure de participer comme musicien à la création et d’honorer ainsi le Créateur !
Mais cette vie lisse en apparence n’a pas toujours été pour Bruckner un chemin lumineux. Il n’était pas humainement armé pour affronter les obstacles de la vie et s’imposer comme artiste alors qu’il était bien supérieur à beaucoup de ses contemporains. Sa vie de compositeur fut une vie de solitude, d’incompréhensions, de déceptions, même s’il finit par accéder au poste de professeur au conservatoire de Vienne. Mais ce n’est pas à l’orgue que l’on découvre le véritable Bruckner mais bien dans chacune de ses neuf symphonies.
La symphonie, confidente de la vie
C’est dans la grande tradition des symphonies de Beethoven que se situe Anton Bruckner. La symphonie, pour l’un comme pour l’autre, est l’expression la plus profonde de la vie de leur créateur, de leurs souffrances, de leurs attentes, de leurs joies. Il y a là une clé d’écoute essentielle pour entrer dans le mystère d’une vie.
La cinquième symphonie d’Anton Bruckner date des années 1875/1876. Devant les échecs désespérément répétés de ses œuvres précédentes, Bruckner traverse une période de découragement : « mon existence a perdu toute joie et toute gaîté, en vain et pour rien » écrit-il à un ami. Pourtant la lumière de sa foi n’est jamais complètement éteinte en son cœur : c’est ce que nous donne à entendre cette cinquième symphonie.
Le premier mouvement de la cinquième de Bruckner
Cette symphonie marque un premier sommet dans l’œuvre du compositeur. Ses premières mesures nous en livrent les éléments essentiels.
Le premier mouvement adagio allegro moderato s’ouvre sur un dessin alternant descente et remontée sur des pizzicati graves des cordes (violoncelles/contrebasses) troublant à peine le silence, comme des battements de cœur à peine perceptibles, comme la vie secrète au profond de chaque être. Sur ce signe discret de la vie planent de longues tenues des cordes (altos/violons), quelque chose semble naître. Tout cela est brutalement interrompu par un grand unisson de tout l’orchestre qui parcourt tout l’espace du grave à l’aigu en arpèges ascendants, comme un appel venu des profondeurs auquel semblent répondre les cuivres (trompettes, trombones, cors) évoquant un grand orgue sonnant quelque choral lumineux, comme une réponse non pas triomphale mais réconfortante dans son éclat, comme la réponse d’un Dieu dont Bruckner n’a jamais douté.
Tout est déjà en place du message que nous donne à vivre cette symphonie. Le développement allegro moderato peut alors dérouler ses deux thèmes, développement entrecoupé par le rappel des sonneries initiales.
Sacré, profane ?
Cette œuvre est destinée à la salle de concert. Mais comment ne pas y entendre une célébration de la vie avec ses doutes et ses confiances, ses souffrances et ses joies.
Le cœur de Bruckner nous est dévoilé en toute simplicité dans cet exorde de la cinquième symphonie aux thèmes d’une évidente transparence. C’est pour cela qu’ils nous rejoignent dans la trame de nos jours.
La distinction profane/sacré a-t-elle encore un sens ?