Il en est de même pour certaines œuvres musicales qui sont devenues au fil de l’Histoire un patrimoine commun. Le « sacré » dont elles sont constituées s’est déplacé de la sphère liturgique à la sphère symbolique dans laquelle chacun se retrouve à partir de ce qui l’habite en profondeur : par exemple le Te Deum. D’une hymne de louange au Dieu Trinité, il est devenu chant de joie à l’occasion d’évènements religieux, politiques ou autres.
Environ 300 Te Deum ont été chantés à Notre Dame de Paris depuis le XIVème siècle en toutes circonstances. Cette hymne est devenue cathédrale musicale, témoin de la vie de la cité.
Ce qu’est le Te Deum
Le titre Te Deum ne signifie rien en soi car il est incomplet : « Toi Dieu » ! Il faudrait dire Te Deum laudamus : Toi Dieu, nous te louons. Cette hymne fut longtemps attribuée à Saint Ambroise, évêque de Milan au IVème siècle. Il s’agit, en fait, d’une réunion de différents textes de louange et de supplication en trois parties :
= une louange à la Trinité (versets 1 à 14)
= une louange au Christ venu en notre chair (versets 15 à 20)
= une succession de demandes et de supplications.
Voici le texte du Te Deum :
1/ Te Deum laudamus
Te Dominum confitemur.
Nous vous louons, ô Dieu !
Nous vous bénissons, Seigneur.
2/ Te aeternum patrem omnis terra veneratur.
3/ Tibi omnes angeli
tibi caeli et universae potestates.
4/ Tibi cherubim et seraphim
incessabili voce proclamant:
5/ sanctus, sanctus, sanctus
Dominus Deus Sabaoth.
6/ Pleni sunt caeli et terra
maiestatis gloriae tuae.
Toute la terre vous adore, ô Père éternel !
Tous les Anges,
les Cieux et toutes les Puissances.
Les Chérubins et les Séraphins
s’écrient sans cesse devant vous :
Saint, Saint, Saint
est le Seigneur, le Dieu des armées.
Les cieux et la terre sont plein
de la majesté de votre gloire.
7/ Te gloriosus Apostolorum chorus.
8/ Te prophetarum laudabilis numerus:
9/ te martyrum candidatus laudat exercitus.
10/ Te per orbem terrarum
sancta confitetur Ecclesia :
11/ Patrem immensae maiestatis :
12/ venerandum tuum verum et unicum Filium :
13/ sanctum quoque Paraclitum Spiritum.
L’illustre chœur des Apôtres,
la vénérable multitude des Prophètes,
l’éclatante armée des Martyrs célèbrent vos louanges.
L’Église sainte publie vos grandeurs
dans toute l’étendue de l’univers,
ô Père dont la majesté est infinie !
Elle adore également votre Fils unique et véritable ;
Et le Saint-Esprit consolateur.
14/ Tu rex gloriae, Christe.
15/ Tu Patris sempiternus es Filius.
16/ Tu, ad liberandum suscepturus hominem,
non horruisti Virginis uterum.
Ô Christ ! Vous êtes le Roi de gloire.
Vous êtes le Fils éternel du Père.
Pour sauver les hommes et revêtir notre nature,
vous n’avez pas dédaigné le sein d’une Vierge.
17/ Tu, devicto mortis aculeo,
aperuisti credentibus regna caelorum.
18/ Tu ad dexteram Dei sedes,
in gloria Dei Patris.
19/ Judex crederis esse venturus.
20/ Te ergo quaesumus,
tuis famulis subveni,
quos pretioso sanguine redemisti.
Vous avez brisé l’aiguillon de la mort,
Vous avez ouvert aux fidèles le royaume des cieux.
Vous êtes assis à la droite de Dieu.
Dans la gloire du Père.
Nous croyons que vous viendrez juger le monde.
Nous vous supplions donc
de secourir vos serviteurs,
rachetés de votre Sang précieux.
21/ Aeterna fac cum sanctis tuis
in gloria numerari.
22/ Salvum fac populum tuum, Domine,
et benedic hereditati tuae
23/ et rege eos,
et extolle illos usque in aeternum.
Mettez-nous au nombre de vos Saints,
Pour jouir avec eux de la gloire éternelle.
Sauvez votre peuple, Seigneur,
Et versez vos bénédictions sur votre héritage.
Conduisez vos enfants
Et élevez-les jusque dans l’éternité bienheureuse.
24/ Per singulos dies benedicimus te
25/ et laudamus nomen tuum in saeculum,
et in saeculum saeculi.
Chaque jour nous vous bénissons ;
Nous louons votre nom à jamais,
Et nous le louerons dans les siècles des siècles.
26/ Dignare Domine die isto
sine peccato nos custodire.
Daignez, Seigneur, en ce jour,
Nous préserver du péché.
27/ Miserere nostri Domine, miserere nostri.
Ayez pitié de nous, Seigneur, ayez pitié de nous.
28/ Fiat misericordia tua, Domine, super nos,
quemadmodum speravimus in te.
Que votre miséricorde, Seigneur, se répande sur nous :
selon l’espérance que nous avons mise en vous.
29/ In te, Domine, speravi :
non confundar in aeternum.
En vous, Seigneur, j’ai mis mon espérance : je ne serai pas confondu à jamais.
Te Deum – 5th Century Monastic Chant (Solemn)
Ce chant du Te Deum a marqué les grands évènements de la vie de la France à Notre Dame : par exemple la célébration d’une victoire comme celle de la bataille de Rocroy en 1643, les mariages ou baptêmes royaux, les obsèques officielles comme celles de la reine de France Marie-Thérèse d’Autriche en 1683 ou du Président de la République Albert Lebrun en 1950.
Il est clair qu’un texte comme celui-là a inspiré les compositeurs jusqu’à aujourd’hui. Voici deux exemples d’appropriation du Te Deum.
Les musiciens s’emparent du Te Deum
Le Te Deum de Jean-Baptiste LULLY (1632-1687) a été composé à l’occasion de la naissance de son fils aîné en 1677, dont le roi Louis XIV était le parrain. Il s’agit d’un « Grand motet » pour solistes, chœur et orchestre développé selon les lois du genre : les versets se suivent dans l’ordre, enrichis d’effets expressifs qui mettent en relief certains mots ou certains versets : par exemple, après une ouverture instrumentale, la solennité des mots Sanctus, le développement sur orbem terrarum, le lyrisme du verset 16…
Jean Baptiste Lully Te Deum William Christie les Arts Florissants
C’est au couronnement de l’Empereur Napoléon III qu’Hector Berlioz (1803-1869) destinait son monumental Te Deum, à Notre Dame. Mais ce fut une autre œuvre qui fut choisie. Le Te Deum de Berlioz est en soi une véritable cathédrale sonore, une œuvre « colossale, babylonienne, ninivite ! » selon les propres termes du compositeur. Cette musique écrite par grandes masses sonores ne peut donner sa plénitude que dans un grand vaisseau comme celui de Notre Dame. Dès les premiers accords alternés entre les cuivres de l’orchestre et les pleins jeux de l’orgue, le ton est donné : il s’agit d’un chant de triomphe, de gloire, à la louange de Dieu probablement mais peut-être d’abord celle du dédicataire prévu !
Berlioz recompose le texte pour en faire une construction symphonique autonome, il en bouscule le plan suivant le schéma suivant :
Partie 1 : versets 1, 2
partie 2 : versets 3 à 9, 1 à 13 et reprise 5, 6 (Sanctus)
partie 3 : versets 26, 21, 26
partie 4 : 14, 15, 17, 14, 15, 17, 14, 15
partie 5 : versets 20, 28
partie 6 : 19, 29, 22 à 25, 19, 29
Les groupements choisis par Berlioz sont intéressants, ils nous révèlent sa lecture de l’hymne. Par exemple la reprise des versets 5 et 6, ceux du Sanctus, ou le groupement des versets 19 et 29 : nous croyons au retour du Christ-Juge, en lui j’ai mis mon espérance.
Voici une impressionnante interprétation de cette œuvre :
H.Berlioz: Te Deum
La tradition du Te Deum à Notre Dame de Paris continue : à l’occasion de sa réouverture, un nouveau Te Deum a été commandé au compositeur Thierry Escaich !