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Peindre le silence

Paris a connu récemment une aventure atmosphérique inhabituelle qui a plongé la ville dans un silence quelque peu surprenant. La conjonction de fortes crues et d’importantes chutes de neige nous invite à orienter nos yeux et nos oreilles saturés d’images et de sons vers une certaine forme de silence : les artistes, peintres ou musiciens, ne nous montrent-ils pas le chemin ?
Publié le 26 février 2018
Écrit par Emmanuel Bellanger

Claude Monet, la Pie, 1868-69, musée d’Orsay, Paris – voir l’oeuvre sur google art project

Quel est le sujet réel de ce tableau célèbre de Claude Monet ? Un paysage de neige, une pie sur un poteau, les rayons de lumière dans le froid de l’hiver ? Tout cela assurément ; mais comme toujours en art, l’essentiel ne saute pas aux yeux immédiatement. Le sujet du tableau ne serait-il pas tout simplement le silence que suggère cet oiseau minuscule dans cet environnement de froidure, seul signe de vie, immobile mais intensément présent par le contraste de ses couleurs sombres : Monet peint, au-delà de l’anecdote de ce qui constitue ce paysage, l’espace, le vide, le silence entre tous ses éléments. Il arrive ainsi à peindre ce qui ne se peint pas, comme le musicien arrive à nous faire entendre ce qui ne s’entend pas : le silence.

Le prélude de Claude Debussy pour piano intitulé Des pas sur la neige est un petit chef d’œuvre d’écriture minimaliste : une simple cellule rythmique (brève-longue) indéfiniment répétée crée une impression de fascination et d’immobilité, un sentiment du temps qui s’arrêterait c’est-à-dire le contraire même de ce qu’est fondamentalement la musique : le temps qui passe, s’écoule, s’efface dans l’oubli. C’est un peu ce que notre ville bruyante et agitée a connu pendant quelques jours, expérience rare offerte à qui a bien voulu s’y laisser conduire. Voici le prélude Des pas dans la neige de Claude Debussy, tout un monde avec presque rien mais où tout est à peine suggéré.

L’expérience de la neige s’apparente d’une certaine façon à celle du désert : les encombrements de nos vies disparaissent, seul demeure l’essentiel, l’utile, le vital. Un compositeur de la première partie du vingtième siècle a exploré musicalement ces régions exigeantes où la musique se déploie dans sa rigueur dépouillée de toute charge inutile, jusqu’à refuser tout effet de charme : Anton Webern (1883-1945).

Nous écoutons sa symphonie opus 21 écrite en 1927/28. Chaque note, chaque timbre, chaque silence sont rigoureusement à leur place. Cette musique est très solidement construite dans sa conception et crée un sentiment d’inattendu dans sa réception : c’est sans doute dans cet espace que se cache la poésie du silence.

Le Carême n’est-il pas un temps privilégié pour retrouver l’essentiel, souvent silencieux et caché, dans nos vies agitées et dispersées ? Les artistes sont de bons guides, nous pouvons suivre les chemins qu’ils nous montrent : ne nous perdons pas dans les complexités superficielles des formes, mais écoutons la saveur de la matière musicale elle-même.

 

Emmanuel Bellanger

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