Jean-Sébastien Bach était bien conscient de l’importance de sa Passion selon saint Matthieu dans l’ensemble de son œuvre : nous pouvons en voir la preuve dans la qualité calligraphique de son manuscrit autographe conservé à la Staatsbibliothek de Berlin. Nous nous arrêterons au premier numéro de la Passion selon Saint-Mathieu qui résume l’esprit et le contenu de tout ce qui va suivre.
Le texte, que nous devons au poète Christian-Friedrich Picander (1700-1764) est un riche amalgame de trois sources : une source biblique à travers l’évocation des Filles de Sion dans l’attente de l’arrivée du fiancé, une source dramatique avec les interjections interrogatives lancées par le chœur, une source liturgique à travers le chant du choral « Ô Lamm Gottes unschuldig » que nous connaissons bien.
Le numéro 1 de la Passion selon saint Matthieu est une longue et douloureuse procession au rythme implacable, presqu’obsédant qui nous emporte malgré nous. « Venez, Filles, aidez-moi à gémir. Voyez le fiancé, comme un agneau ».
Cette invitation pressante est coupée de brèves et brusques interjections qui traduisent nos propres questionnements : « Quoi ? Quoi ?…Où ? Où… ? »
A l’arrivée du troisième élément, la musique change de registre : au-dessus du rythme lancinant du cortège plane le choral « Ô Lamm Gottes unschuldig » en valeurs régulières, chanté par un chœur d’enfants dont les voix contrastent avec tout ce qui a été entendu. Nous sommes passés au registre liturgique : on n’est pas au théâtre avec une procession qui se déroulerait sous nos yeux mais bien dans un mouvement qui est aussi le nôtre. Le fiancé patient qu’évoque le texte poétique, c’est bien le Christ, Agneau de Dieu innocent livré pour nous que chante le choral.
La Passion selon saint Matthieu est non seulement un monument de l’histoire de la musique, mais un cadeau extraordinaire qui nous est offert au moment d’entrer dans les célébrations de la mort et de la résurrection du Seigneur.
Emmanuel Bellanger