La vie de Heinrich Schütz est placée sous le signe de la longévité : mort à l’âge de 87 ans, ce qui est très exceptionnel à cette époque, il a occupé pendant 55 ans le poste de Maître de Chapelle à la cour de Dresde ! Il lui a été donné de traverser une longue vie d’épreuves parmi lesquelles la mort de sa femme au bout de seulement 6 années de mariage et il lui resta fidèle jusqu’au bout. De plus il a connu les horreurs de la guerre de Trente Ans. Malgré cela, il nous laisse une œuvre vocale d’une exceptionnelle richesse, à la fois nourrie de musique italienne découverte auprès de Giovanni Gabrieli à Venise puis de Monteverdi lui-même et de son esprit créateur puisqu’il est le fondateur de la cantate allemande. L’histoire de Marie-Madeleine en est un superbe exemple.
Nous connaissons bien cet épisode de ce premier témoignage du matin de Pâques tel que le rapporte l’évangile de saint Jean au chapitre 20 :
Marie-Madeleine se tenait près du tombeau, au-dehors, tout en pleurs. Et en pleurant, elle se pencha vers le tombeau. Elle aperçoit deux anges vêtus de blanc, assis, l’un à la tête et l’autre aux pieds, à l’endroit où avait reposé le corps de Jésus. Ils lui demandent : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Elle leur répond : « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais pas où on l’a déposé. » Ayant dit cela, elle se retourna ; elle aperçoit Jésus qui se tenait là, mais elle ne savait pas que c’était Jésus.
Jésus lui dit : « Femme, pourquoi pleures-tu ? » Le prenant pour le jardinier, elle lui répond : « Si c’est toi qui l’a emporté, dis-moi où tu l’as déposé, et moi, j’irai le prendre. » Jésus lui dit alors : « Marie ! » S’étant retournée, elle lui dit en hébreu : « Rabbouni ! » c’est-à-dire : « Maître ! »
C’est très fidèlement le texte que Schütz a mis en musique en 1623. Cette scène comporte cinq personnages : Marie-Madeleine, le Christ, les deux anges et le narrateur. Comme dans un oratorio ou une cantate, la musique suit le texte pas à pas en l’enrichissant de sa palette qui apporte à ce récit une émotion dramatique bienvenue. Mais nous ne sommes pas à l’opéra : il ne s’agit pas pour Schütz de simplement nous émouvoir à l’audition de cet épisode en effet dramatique : enlever un mort du tombeau n’est pas sans gravité. Une surprise nous attend à l’écoute de cette page.
C’est à partir de la 8ème minute de l’enregistrement que je vous propose que commence l’épisode. Nous reconnaissons le narrateur et les deux anges. La rencontre entre Marie-Madeleine et celui qu’elle prend pour le jardinier commence à la minute 13. Ce n’est pas une voix seule qui incarne Marie-Madeleine et le Christ mais deux. Par ce moyen, le compositeur se place au-delà d’une simple représentation de ce qui, en effet, est difficilement représentable. L’incarnation de ces deux personnages par deux voix pour chacun d’eux ne voudrait-elle pas nous conduire au-delà de la simple anecdote ? Ce Christ ressuscité est celui que nous célébrons aujourd’hui : il se rend encore audible et visible à Marie-Madeleine, mais il est au-delà du temps, présent hier, aujourd’hui et demain. C’est sous d’autres formes que nous sommes appelés à le rencontrer : par ce procédé tout simple de ne pas en rester au récit premier, Schütz nous invite à entendre ce que la musique apparemment nous révèle mais nous cache aussi quelque peu. « Que celui qui a des oreilles entende ! »
Une dernière clé : le quatuor de violes accompagne le narrateur. C’est l’orgue-positif seul qui accompagne les personnages. Cela facilite l’écoute.
Emmanuel Bellanger