Mon Dieu, exauce ma prière

Les psaumes sont d’abord des poèmes spirituels : c’est à ce titre qu’ils ont inspiré et qu’ils continuent d’inspirer les compositeurs. Ce temps de carême qui s’ouvre nous invite à écouter ces poèmes comme les musiciens les ont entendus. La musique devient plus qu’un simple décor ou même qu’un révélateur de sens, elle est capable de devenir une prière si nous prenons le temps de l’entendre en profondeur.
Publié le 16 février 2018
Écrit par Emmanuel Bellanger

C’est en 1938/39 que Francis Poulenc (1899-1963) compose ses Quatre motets pour un temps de pénitence. Le premier Timor et tremor est écrit sur un montage de textes issus des psaumes 54 et 30. Poulenc a probablement réutilisé un montage de versets psalmodiques que Roland de Lassus (1530-1594) avait déjà mis en musique dans cette belle page à 6 voix que voici ; la confiance en Dieu refuge du psalmiste se chante presque sur une danse sur les mots « non confundar – je ne serai pas confondu ».

On lit dans ce texte à la fois l’angoisse existentielle qui a marqué Francis Poulenc et une espérance parfois fragile mais toujours présente au cœur du compositeur. La simplicité de sa musique nous touche parce que le texte est vraiment vécu au sens le plus concret. Le critique musical Paule Collaer ne s’y est pas trompé lorsqu’il écrivit au compositeur : « Votre pensée s’est amplifiée. Elle a mûri, elle s’est généralisée. Vous voici dans la vérité : la vôtre et celle de tout le monde. »

C’est le dépouillement qu’il trouvait dans l’œuvre de Vittoria (1540-1611) « le Saint-Jean-de-la-Croix de la musique » que Poulenc a puisé pour écrire ce premier motet. La musique suit le texte simplement, pas-à-pas, sans artifice inutile, laissant vibrer les accords au service de sa prière ; elle oscille entre angoisse et confiance, entre tonalités mineures sombres et majeures lumineuses. Goûtons la lumière éclairant soudainement « quoniam in te confidit anima mea ». Les contrastes dynamiques, mélodiques (sauts vers l’aigu ou plongées dans le grave), harmoniques (transparence des consonances ou pénombre des dissonances surtout dans la deuxième partie) nous rappellent que la prière n’est pas seulement une affaire de paroles mais bien de sentiments, de passions, en un mot, de chant. La tension entre la peine des jours et le repos dans la foi est de tous les temps et de tous les êtres, à commencer par nous-mêmes, n’est-ce pas ?

Que le chemin que nous propose Francis Poulenc dans ce motet de la pénombre à la lumière oriente ce temps qui s’ouvre.

Timor et tremor venerunt super me ; et caligo cecidit super me ; miserere mei Domine, miserere, quoniam in te confidit anima mea.
– La crainte et l’effroi ont fondu sur moi ; les ténèbres m’ont envahi ; aie pitié de moi, Seigneur, aie pitié de moi, je te confie mon âme.
Exaudi Deus deprecationem meam quia refugium meum es tu et adjutor fortis Domine invocavi te non confundar.
– Mon Dieu, exauce ma prière car tu es mon refuge et mon secours tout-puissant. Seigneur, je t’ai invoqué, je ne serai pas confondu.

 

 

Emmanuel Bellanger

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