A l’écoute de Cain, ovvero il primo omicidio, il y a de quoi être surpris avec cette ouverture dont la fonction est de nous placer au cœur d’un évènement violent : le meurtre d’un homme par son propre frère. La musique se présente apparemment de façon bien légère. On peut trouver à cela deux raisons principales : en premier lieu, l’oratorio en Italie au 18ème siècle répond à des codes connus et attendus par l’auditoire, sortes de règles de savoir-vivre au service d’une sociabilité aimable. L’oratorio de Scarlatti s’ouvre donc sur une « ouverture à l’italienne » de plan symétrique où se succèdent trois mouvements, vif/lent/vif.
Mais une raison plus profonde justifie le caractère enjoué de cette ouverture. Certes le volet central nous plonge dans le drame par son langage harmonique aux dissonances lourdes de tension et de douleur. Mais, comme toujours chez les compositeurs italiens de ce temps, on ne s’appesantit pas. Scarlatti oriente notre attention vers la conclusion du récit biblique qui ne s’arrête pas à la condamnation du meurtrier mais sur la promesse divine d’une nouvelle descendance selon les propres mots d’Eve, la mère de Caïn : « Dieu m’a suscité une autre descendance à la place d’Abel, puisque Caïn l’a tué. » (Genèse 4,25)
Cette plaque d’ivoire sculptée illustre fidèlement le récit biblique au chapitre 4 de la Genèse. A droite, la main de Dieu reçoit l’offrande que lui présente Abel, une bête de son troupeau, et non celle de Caïn des prémices de ses récoltes. « Caïn en fut très irrité et son visage fut abattu. » C’est tout ce que nous dit la Bible. Une colonne sépare les deux moments mais les unit en même temps : la jambe droite d’Abel franchit la frontière qu’elle semble marquer. A gauche nous sont montrés le meurtre d’Abel et la condamnation de Caïn à l’errance jusqu’à la fin de ses jours. La main de Dieu qui accueillait à droite condamne à gauche d’un geste impératif ; ce Dieu qui demeurait caché à droite se manifeste pleinement à gauche.
L’image d’une certaine façon nous en dit plus que le texte : les artistes ne sont ni des prédicateurs ni des exégètes, ils nous donnent à vivre humainement un évènement biblique en cherchant à combler les vides du récit : par exemple, pourquoi Dieu refuse-t-il l’offrande de Caïn ? Le récit biblique est elliptique : que se passe-t-il entre le moment des offrandes et celui du meurtre ? Quelle tempête intérieure trouble la tête de Caïn ?
Le librettiste de Scarlatti, demeuré inconnu, s’appuie sur ces espaces vides pour construire sa dramaturgie : ainsi Satan n’est pas mentionné dans la Bible, il est pourtant présent dans l’oratorio. La musique elle-même entre souplesse apaisante et tensions rythmiques et harmoniques, nous fait entrer dans les sentiments des personnages. On perçoit aisément ce jeu d’oppositions dans cet extrait de l’oratorio il primo omicidio, situé à la fin de la première partie. La Bible ne nous dit rien des rapports et des dialogues entre les deux frères. A-t-on besoin de comprendre le sens des mots ? La transparence de la musique traduit avec évidence l’esprit de paix qui habite Abel et les tentations menaçantes qui s’insinuent dans la tête de Caïn.
Suivant les conventions de l’époque, c’est une voix de soprano qui incarne Abel (l’aigu est l’image sonore du bien) et une voix d’alto qui est choisie pour Caïn (le grave comme image du mal).
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Emmanuel Bellanger