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LES VOYAGES DE L’ETE III / III : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté… »

Jusqu’au 22 septembre 2019, le musée d’Orsay à Paris propose une riche exposition consacrée à Berthe Morisot. Nous poursuivons notre voyage de l’été d’une autre manière : assurément, peinture, poésie et musique nous mènent vers des ailleurs insoupçonnés dans les mystères de leurs correspondances.
Publié le 26 août 2019
Écrit par Emmanuel Bellanger

Berthe Morisot, Autoportrait, 1885, Musée Marmottan-Monet, Paris © Wikimedia Commons

C’est nous qu’elle fixe de ses yeux insistants, comme dans un dialogue silencieux mais profond, un regard qui nous invite à une autre manière de voyager au pays de l’autre…

Cet autoportrait de Berthe Morisot (1841-1895) date de 1885 ; elle était alors dans la pleine maîtrise de son art dont elle était manifestement consciente, cela se lit dans son regard plein d’assurance, les yeux bien ouverts nous fixant avec insistance. Mais les choses sont-elles aussi simples ? Qui regarde-t-elle, qui regardons-nous ? Les autoportraits sont souvent mystérieux. Berthe Morisot se regarde elle-même, le tableau fonctionnant comme en circuit fermé. Il y aurait alors quelque chose de gênant dans cet enfermement. Mais en réalité, c’est nous qu’elle fixe de ses yeux insistants, comme dans un dialogue silencieux mais profond, un regard qui nous invite à une autre manière de voyager au pays de l’autre, en nous-mêmes aussi que nous découvrons comme un pays à explorer. C’est bien ce qu’évoque Charles Baudelaire dans son Invitation au voyage qui date de 1857.

Le regard de la femme aimée est pour le poète le début d’un voyage aux confins inexplorés, toujours plus mystérieux : un pays de rêve fait de lumière et de douceur mais aussi de larmes, un pays reflet de toute vie :

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traitres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Un regard, c’est à la fois un vaisseau qui vient du bout du monde et un soleil dont on reçoit lumière et chaleur, images d’une vie idéale, ordonnée et toujours belle :
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Cette musique sur ce poème s’enrichit de résonances plus impressionnantes à nos oreilles contemporaines.

Ce poème de Baudelaire fait partie de l’œuvre peu abondante du compositeur Henri Duparc (1848-1933). Son destin a été tragique puisque la maladie l’a complètement arrêté dans sa vie de créateur à partir de 1885 : cette musique sur ce poème s’enrichit de résonances plus impressionnantes à nos oreilles contemporaines. Nous pouvons l’entendre comme une sorte d’autoportrait rêvé d’un artiste brisé dans son élan créateur : L’invitation au voyage d’Henri Duparc date de 1870.

Comme dans toutes les mélodies de ce compositeur, il faut être attentif à l’accompagnement de piano pensé comme un orchestre : l’accompagnement de la deuxième strophe est en effet très différent de celui de la première, plus scintillant en écho aux images du poème.
La belle modulation en majeur éclaire magnifiquement le mot « ensemble » de la première strophe, son retour sur « vagabonde » de la deuxième strophe crée un rapport mystérieux entre ces deux mots.

L’accompagnement cesse son mouvement perpétuel sur les vers si fameux « Là, tout n’est qu’ordre et beauté…», chanté comme une sorte de psalmodie : la musique s’efface et laisse aux mots toute leur force expressive.

Enfin, la deuxième strophe progresse dans une dynamique toujours plus soutenue, la musique suivant une courbe générale ascendante, comme attirée par la « chaude lumière ».
Par les moyens musicaux (dynamique, jeu des hauteurs, modulations, couleurs harmoniques, orchestration du piano) Duparc rend sensible ce poème comme un chemin qui conduit le lecteur/auditeur en des pays qu’il lui appartient de découvrir.

Nous sommes presque à la reprise de nos activités : souhaitons-nous de rencontrer des regards qui nous inviteront à poursuivre le voyage.

Emmanuel Bellanger

Toutes les informations pratiques pour visiter l’exposition « Berthe Morisot » en cliquant ici.

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