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Le Mystère de l’âme humaine

Nous concluons avec ce chapitre l’année Claude Debussy mort il y a cent ans. Dans quelques jours, le 2 novembre, l’Eglise célèbrera la « commémoration de tous les fidèles défunts ». La mort reste un mystère inexprimable. Les musiciens nous introduisent à leur manière au seuil de cet évènement dont nul n’a témoigné et que tous, pourtant auront à vivre. L’opéra de Claude Debussy Pelléas et Mélisande s’achève sur la scène de la mort de l’héroïne ; que nous donne-t-il à entendre ?
Publié le 15 octobre 2018
Écrit par Emmanuel Bellanger

Le chœur des anges accueille sainte Élisabeth au ciel par Jean Alaux (1786-1864)
Détail de la voûte du chœur de l’église Sainte-Elisabeth de Hongrie, Paris.

Nous sommes aux toutes dernières mesures de l’opéra : Mélisande, couchée dans sa chambre est entourée de Golaud son mari, le vieil Arkel père de Golaud, qui représente la sagesse acquise au cours d’une longue vie, d’un médecin et de quelques servantes. Comment Debussy nous fait-il vivre le moment mystérieux du grand passage ? En sculptant par une musique appropriée le silence, seule musique possible puisque nous n’en pouvons rien dire. Mais quels silences !

Sur des accords en modes anciens, sorte de musique liturgique, Arkel meuble le silence d’une sorte de bavardage pour habiter le sentiment de vide. Voici ce qu’il dit :

« Il ne faut plus l’inquiéter… L’âme humaine est très silencieuse… L’âme humaine aime à s’en aller seule… Elle souffre si timidement. Mais la tristesse, Golaud… Mais la tristesse de tout ce que l’on voit… »

La musique alors se fait de plus en plus discrète jusqu’au silence total. La partition précise : « En ce moment toutes les servantes tombent subitement à genoux au fond de la chambre. » « Qu’y-a-t’il ? ». La didascalie indique : « Le médecin s’approchant du lit et tâtant le corps », « Elles ont raison… ». Arkel, aveuglé par son bavardage : « Je n’ai rien vu. Êtes-vous sûr ?… ». Le médecin répond « oui ». Arkel de nouveau : « Je n’ai rien entendu… Si vite, si vite… Elle s’en va sans rien dire… ». La musique est aux limites du néant, juste ponctuée d’une succession de tierces mineures sur MI/SOL. Seules les servantes silencieuses ont compris.

La liturgie chrétienne nous fait vivre cet évènement non pas comme une fin aboutissant au silence de la tombe, mais comme une porte qui ouvre vers ce qu’elle appelle le repos et la lumière. La liturgie des défunts se conclue sur l’admirable chant du In Paradisum.

« In paradisum deducant te Angeli : in tuo adventu suscipiant te Martyres, et perducant te in civitatem sanctam Jerusalem. Corus angelorum te suscipiat, et cum Lazaro quandam paupere aeternam habeas requiem. »

Que les Anges te conduisent au paradis : qu’à ton arrivée, les Martyrs t’accueillent et qu’ils t’introduisent dans la cité sainte Jérusalem. Que le chœur des Anges te reçoivent, et puisses-tu, avec Lazare, qui fut pauvre autrefois, posséder le repos éternel.

Voici la version que nous en donne Maurice Duruflé : la mélodie grégorienne est présente intégralement, la première partie par le chœur accompagné par l’orgue, la deuxième partie (à partir de Chorus Angelorum) par l’orgue accompagné par le chœur dans une très habile inversion des rôles. La musique s’achève non pas comme chez Debussy, sur le silence du néant mais sur de très subtiles harmonies qui permettent à la musique de poursuivre son chemin dans le cœur de l’auditeur, habité intérieurement par une douceur lumineuse.

 

Emmanuel Bellanger

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