« Un autre ange vint se placer près de l’autel : il portait un encensoir d’or ; il lui fut donné quantité de parfums pour les offrir avec les prières de tous les saints, sur l’autel d’or qui est devant le Trône. Et par la main de l’ange monta devant Dieu la fumée des parfums, avec les prières des saints. Puis l’ange prit l’encensoir et le remplit du feu de l’autel. » (Ap 8,3-5)
Comment représenter la fumée avec des fils entrecroisés ? Que donner à voir ou à entendre de la louange éternelle des saints et des anges ? C’est le miracle de l’art que de représenter fidèlement, presque naïvement, ce que décrit l’Apocalypse de Jean : l’ange, l’autel d’or, le Trône, le feu. Le parfum invisible et inodore pour nous est pourtant presque palpable : tout semble immobile dans cette image à l’exception des flammes et des chaînes de l’encensoir qui ondulent souplement.
Cette image de la fumée de l’encens, elle-même image de la prière impalpable mais réelle, nous la retrouvons dans les poésies que sont les psaumes :
« Que ma prière devant toi s’élève comme un encens. » (Ps 140, 2) Ma propre prière est celle même des saints devant le Trône. Mon existence temporelle s’unit déjà à l’éternité en laquelle sont entrés les saints que l’on célèbre en ce jour de la Toussaint.
Olivier Messiaen (1908-1992) a nourri pratiquement toute sa vie de musicien de cette contemplation émerveillée de ce à quoi nous sommes promis : telle était sa conviction profondément enracinée. Sa musique donne à voir ce que nos yeux ne peuvent même pas apercevoir.
« La Foi, maintenant, et sa continuation logique, la Contemplation réelle, la Vision béatifique après la mort. » ainsi Messiaen résumait-il ce qui l’habitait profondément. Dans son opéra Saint François d’Assise au 5ème tableau, il fait dire à l’Ange :
« Entends-tu cette musique qui suspend la vie aux échelles du ciel, entends-tu la musique de l’Invisible. »
En 1939, Messiaen publie un cycle pour orgue consacré entièrement à cette contemplation de l’Eternité, cycle qu’il a intitulé Les Corps Glorieux. Une des pages de ce recueil intitulée l’Ange aux parfums est précisément consacrée au verset de l’Apocalypse de Jean cité en exergue de cet article.
On y entend au début une longue monodie jouée sur le jeu de clarinette : longue mélopée tournoyant sur une note pivot, presque obsessionnelle, un peu envoûtante comme un parfum. Puis survient une musique d’une écriture complexe qui, dans son apparente incohérence, se libère de tous repères mélodiques ou formels, un peu comme la fumée qui obéit à des lois physiques précises mais semble se disperser dans l’air au gré du hasard.
La mélopée initiale réapparaît au milieu de ce jeu sonore, comme l’ange qui tient l’encensoir, comme la prière des saints qui se donne ici à entendre. Enfin, en une admirable écriture à deux voix en canon, la musique s’échappe en volutes légères et disparaît dans l’aigu, comme la prière des saints qui monte toujours plus haut, vers le Très-Haut.
Cette page est ici interprétée par Jean-Claude Raynaud sur l’orgue Cavaillé-Coll de Saint Sernin à Toulouse.