C’est en 1905 que Claude Debussy achève la première série des « Images » pour piano. Le recueil s’ouvre sur « Reflets dans l’eau ». Il ne s’agit évidemment pas d’une description (la musique en est incapable) ou même de l’évocation du jeu des lumières sur l’eau. Il s’agit d’un moment de contemplation de l’élément liquide dans le silence du soir tombant sur un étang. Cette contemplation conduit Claude Debussy à cette page délicate qui nous fait vivre un petit miracle musical : la musique dans sa densité sonore nous donne à entendre tout simplement le silence.
Pas de thème vraiment dessiné sinon trois notes descendantes obstinément présentes (LA bémol, FA et MI bémol), mais des arpèges aux harmonies raffinées, rêveuses. Le pianiste Alfred Cortot parle d’ « images lentes qui s’étirent au miroir ondoyant des sonorités, dans la transparence lumineuse des accords et des arpèges effleurés ». Le compositeur donne cette indication qui traduit bien l’esprit qui l’habite : « Un petit cercle dans l’eau, un petit caillou qui tombe dedans ».
La musique ne s’achève pas vraiment, elle s’éteint petit à petit, se ralentit progressivement poursuivant sa route mystérieusement dans l’écoute intérieure. C’est le grand pianiste russe Sviatoslav Richter qui nous offre cette page.
Ce panneau japonais représentant un poisson doré sur un fond de laque noire ornait le bureau de Claude Debussy. Il lui a inspiré la dernière page de la deuxième série des « Images » pour piano écrites en 1906/1907.
Qui d’entre nous ne s’est pas abandonné à l’envoûtement auquel le conduit l’observation des poissons au bord d’une rivière ? Scintillements subits et brefs, « zigzags rapides et capricieux ». C’est exactement ce que nous donne à entendre Debussy : une musique comme improvisée, entre immobilité et impressionnante virtuosité. « Poissons d’or » s’éteint dans le silence. Là encore, la musique ne meurt pas, elle poursuit sa route.
Arturo-Benedetti Michelangeli en est l’interprète.
Chacun sait que Maurice Ravel succède à Claude Debussy dans la chronologie historique. Pourtant les « Jeux d’eau », une de ses premières pages magistrales, sont antérieures aux deux morceaux que nous venons d’entendre puisqu’ils datent de 1901 : l’écriture semble proche de celle de Debussy. Nous sommes dans la même atmosphère musicale, quelque part entre Liszt et l’auteur de Pelléas. La langue musicale de Ravel explore cependant des régions nouvelles qui allient des éléments venus des origines médiévales de la musique (jeux de quartes) et des éléments conduisant au seuil de l’atonalité.
Comme le disait Léon-Paul Fargue : « Il y avait là un feu inconnu, tout un éventail d’ondes et de finesses qui n’appartiennent à personne. » L’homme pudique qu’était Ravel se révèle déjà dans ses crescendo qui atteignent l’éclatement sonore comme une libération de sentiments longtemps refoulés. Mais très vite Ravel se ressaisit : les « Jeux d’eau » se concluent sur un envol inattendu, un point d’interrogation devant lequel il nous renvoie.
C’est Martha Argerich qui nous donne cette œuvre.
Belles promenades au bord de l’eau !
Emmanuel Bellanger