LA FÊTE-DIEU

Hier l’Eglise célébrait ce qu’on appelait jadis la Fête-Dieu. Le texte de Saint Thomas d’Aquin « O sacrum convivium », que l’on chante au cours des vêpres de ce jour, a inspiré de très nombreux musiciens qui, chacun à sa manière, ont traduit ce qui nourrissait leur espérance. En effet, la musique n’est jamais qu’une simple lecture d’un texte, elle en manifeste les résonances au cœur du compositeur et nous aide ainsi à en découvrir les richesses.
Publié le 07 juin 2021
Écrit par Emmanuel Bellanger

Nous allons entendre trois mises en musique de ce même texte, venues de trois pays différents et de trois périodes de l’histoire de la musique. Voici le texte de Thomas d’Aquin :
O sacrum convivium                                   Ô festin sacré
in quo Christus sumitur                              où l’on reçoit le Christ
recolitur memoriae passionis ejus             où la mémoire de la passion est renouvelée
et futurae gloriae nobis pignus datur.       Et de la gloire future le gage nous est donné.

La première musique que nous écoutons sur ce texte vient d’Angleterre :

Thomas Tallis (vers 1505-1585) est un éminent représentant de ce qu’on appelle l’Ecole élisabéthaine. Sa carrière est assez exceptionnelle puisqu’il fut successivement organiste du roi Edouard VI (anglican), de la reine Marie Tudor (catholique) et enfin de la reine Elisabeth Ière (anglicane). Un artiste n’est ni un théologien ni même un exégète : il s’engage dans son geste artistique en utilisant des procédés musicaux propres à son époque. C’est dans l’éclairage orienté sur certains mots que nous découvrons les résonances d’une telle prière y compris pour nous aujourd’hui. Voici quelques détails significatifs :

1° Chacun des vers se conclue par une cadence, respiration musicale qui respecte la progression du texte.
2° Tallis relie les mots « sacrum convivium »  et « recolitur » par un lien musical fort : le festin sacré est chanté sur une belle montée alors que le renouvellement de la mémoire de la Passion est chanté sur un mouvement descendant exactement symétrique. Le lien entre repas eucharistique et mémoire de la Passion a résonné dans l’esprit de Tallis.

3° Une lumineuse transition en mode majeur éclaire « pignus datur » et met en évidence le sens véritable de ce festin « gage de notre gloire future ».

La deuxième musique sur ce même texte nous vient d’Italie : si la vie de Thomas Tallis fut exceptionnellement longue pour son époque, celle de Giovanni Battista Pergolesi fut brève : 26 ans (1710-1736) ! Il a eu, pourtant, le temps de manifester son génie précoce aussi bien dans le domaine de la musique religieuse que dans celui de l’opéra.

Dans cette page qui est bien caractéristique de sa manière décrire même si on n’est pas absolument sûr qu’elle soit de lui, on retrouve l’atmosphère de la musique sacrée telle qu’elle était pratiquée en Italie dans un style venu de Palestrina, jusqu’au moment où nous attend une surprise : le dernier vers se conclue sur une cadence bien préparée mais interrompue. Eclate alors une nouvelle musique dans le style du pur XVIIIème siècle européen sur le dernier vers. C’est vraiment l’espérance de la gloire future à laquelle nous donne accès ce repas sacré qui inspire le musicien. Au fond, il a bien lu le texte qui nous rappelle le passé (la Passion du Christ) dont fait mémoire le présent, gage du futur.

De plus, le thème que choisit Pergolèse pour cette fugue finale est un thème d’origine italienne qu’ont utilisé de nombreux compositeurs. Cela donne à cette musique une multitude de résonances d’une singulière profondeur. Voici quelques exemples d’utilisation de ce thème : l’Offrande musicale et l’Actus tragicus (cantate sur la mort) de Jean-Sébastien Bach, le Kyrie du Requiem de Mozart…

La troisième version musicale de ce texte est française : elle est due à Olivier Messiaen (1908-1992). Cette courte page pour chœur a cappella est la seule que Messiaen a écrite précisément pour la liturgie. Elle est le fruit d’une commande.

Nous connaissons la ferveur du compositeur pour l’Eucharistie : il lui a consacré un très important cycle pour orgue intitulé le Livre du Saint Sacrement qui ne dure pas moins d’une heure et demie.

C’est une toute autre atmosphère qui nous est offerte ici : nous sommes plongés à la fois au cœur de Mystère du Corps du Seigneur donné en nourriture et au cœur de la méditation de l’homme Olivier Messiaen devant cette immensité qui le rejoint dans sa petitesse. Cette page baigne dans une grande douceur : Messiaen a choisi la tonalité qui, pour lui, est celle de la douceur, fa # majeur.

Emmanuel Bellanger

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