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L’expérience du désert avec Edgar Varèse

Le temps liturgique du Carême dans lequel nous venons d’entrer ouvre le grand cycle de Pâques. Nous y éprouvons concrètement ce qui fait la trame de toute vie : une alternance de mouvement et de repos, de son et de silence, d’action et de contemplation… L’image du désert s’impose naturellement comme un lieu de dépouillement, de retour sur soi non comme enfermement mais comme exploration d’un inconnu susceptible d’ouvrir sur de riches découvertes. Nous vous invitons à cette expérience du désert avec une surprenante composition musicale d'Edgar Varèse...
Publié le 02 mars 2020
Écrit par Emmanuel Bellanger

C’est une œuvre de musique dite contemporaine que je vous propose aujourd’hui, une musique que l’on peut qualifier d’avant-garde même si elle date de 1954 : il s’agit de Déserts d’Edgar Varèse (1883-1965).

Danae Stratou, Desert Breath, 1997, installation in situ, Egypte Copyright © 2020 Danae Stratou

De quoi le désert nous fait-il vivre l’expérience ? Peut-être d’une remise en cause de nos habitudes, y compris dans la sphère musicale : nous nous réfugions dans ce que nous aimons, dans nos repères sonores habituels. Varèse est d’abord un musicien du son en soi avant d’être celui de la mélodie ou de l’harmonie par quoi nous définissons habituellement la musique. Ne définissait-il pas la mélodie comme un papotage sonore ?

Déserts est une œuvre écrite pour orchestre et ordinateur. On y entend les sons d’instruments à vent (bois : flûte, clarinette et cuivres : cors, trompettes, trombones, tubas et cordes) enrichis d’une riche percussion que l’on peut grouper en deux familles : des percussions résonnantes (cloches, gong, piano) et des percussions sèches (tambours, blocs-chinois).     

L’œuvre est entrecoupée de trois interventions électroniques que Varèse appelle Interpolations. Ces interventions sont le résultat d’un travail technique à partir de trois types de sonorités : des bruits « industriels » (fonderies, scieries), des sons issus d’instruments de musique et des sons nouveaux créés par manipulations électroniques.

Tout cela donne une œuvre violente, brutale, stridente par moments qui peut donner naissance à un sentiment de solitude, d’égarement, de désespérance. Cela nous ouvre aussi à un inouï, une découverte d’un monde qui se révèle au-delà de la première surprise. Le désert est un lieu de remise en cause, d’interrogation : rien ne peut détourner le regard ou l’ouïe de l’essentiel des questions qu’il pose.

Varèse a écrit dans une correspondance :

J’ai choisi comme titre DESERTS parce que c’est un mot magique qui suggère des correspondances à l’infini. Déserts signifie pour moi non seulement les déserts physiques, du sable, de la mer, des montagnes et de la neige, de l’espace extérieur, des rues désertes dans les villes, non seulement ces aspects dépouillés de la nature qui évoquent la stérilité, l’éloignement, l’existence hors du temps, mais aussi ce lointain espace intérieur qu’aucun télescope ne peut atteindre, où l’homme est seul dans un monde de mystère et de solitude essentielle.

Dans la nouveauté dérangeante de sa facture, Déserts d’Edgar Varèse nous plante au milieu d’un monde sonore hors de nos repères habituels. Déserts ouvre en nous la porte d’un espace intérieur inconnu de nous-mêmes qui enrichit notre oreille de timbres complexes et innombrables. N’est-ce pas une forme d’expérience du désert que ce silence à cultiver en nous pour être accueillants à cette musique nouvelle, ces espaces sonores et intérieurs nouveaux ?

Emmanuel Bellanger

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