ESPRIT DE PENTECÔTE

A la différence de Noël ou de Pâques dont personne n’a été le témoin – on trouve l’Enfant dans une crèche mais nul ne l’a vu naître, on rencontre le Christ ressuscité mais personne ne l’a vu sortir du tombeau – l’évènement de la Pentecôte a été spectaculaire, sonore de surcroît : « Soudain un bruit survint du ciel, comme un violent coup de vent » (Actes 2, 2). Pourtant cette manifestation n’a pas inspiré les musiciens : c’est que, sans doute, le véritable message est ailleurs.
Publié le 17 mai 2021
Écrit par Emmanuel Bellanger

Jean-Sébastien Bach (1685-1750) nous a laissé quatre cantates pour la fête de la Pentecôte, qui jalonnent le déroulement de sa carrière : BWV 172 en 1714, BWV 59 en 1724, BWV 79 en 1729 et BWV 34 en 1740. Arrêtons-nous à la première et à la dernière. Situées au centre de la célébration, juste avant ou encadrant la prédication, ces quatre cantates approfondissent le même message, cela ne nous étonnera pas. Il est éclairant pour nous de percevoir par quels procédés purement musicaux, le compositeur nous éclaire sur le sens de la venue de l’Esprit-Saint.

La composition orchestrale des deux cantates que nous découvrons est à peu près identique : cordes, bois, trompettes et timbales, chœur et solistes. Qu’est-ce qui distingue ces deux cantates ?

BWV 172 : ERSCHALLET, IHR LIEDER, IHR SEITEN = RETENTISSEZ, VOUS LES CHANTS, VOUS LES CORDES.

Les textes de cette cantate sont du poète Salomon Franck (1659-1725), un ami de Bach.

Comme toujours chez notre Cantor, le plan général est symétrique avec toutefois un ajout qui rompt l’ordonnancement, ajout essentiel qui nous donne la clé de compréhension spirituelle de la cantate. Trois arias forment le noyau de l’œuvre, encadrées par un chœur introductif et un chœur conclusif. C’est le récitatif de basse en deuxième position qui, en rompant la symétrie, nous révèle le contenu réel de la méditation de Jean-Sébastien. La mission du récitatif est de porter le texte afin qu’il entre efficacement dans les cœurs des auditeurs. Le fait que ce soit le seul récitatif de cette cantate lui donne un statut particulier – c’est de ce texte que naît toute la musique qui suivra : le surgissement de l’Esprit concerne chacun de nous. Le récitatif proclame : «  Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et chez lui nous nous ferons une demeure » (Jean 14, 23). Les vocalises sur machen ou kommen mettent en évidence le sens de cette cantate : nous ferons, nous viendrons.

Parcourons cette cantate 172 avant de l’écouter :
1° Le chœur initial sur les mots du titre invitent au chant sur une musique éclatante.
2° Le récitatif de basse qui oriente la méditation.
3° Une aria de basse à la gloire de la Trinité dont l’Esprit est la troisième personne. Apprécions la virtuosité redoutable de la première trompette :
« Ô très sainte Trinité, viens en nos cœurs »
4° Une aria de ténor qui contraste avec la précédente. Ici tout est douceur et fluidité, les cordes souplement déroulées à l’unisson :
« Ô paradis des âmes où souffle l’Esprit de Dieu. »
5° Une troisième aria en forme de dialogue entre l’âme (soprano) et l’Esprit-Saint (alto). Bach a plusieurs fois mis en musique cette forme de dialogue mystique, par exemple dans la cantate 140. On y perçoit l’influence du Piétisme auquel il n’était pas insensible :
« Viens, ne me fais plus attendre – Je te désaltère, mon enfant… tu es à moi. »
A peine reconnaissable, l’orgue ou le hautbois (suivant les versions) chante en contrepoint le choral « Viens, Esprit-Saint. »
6° La cantate se conclut sur la quatrième strophe d’un cantique chanté à Noël : ainsi est manifesté l’accomplissement du cycle liturgique qui conduit de Noël à la Pentecôte :
« De Dieu me vient un éclat de joie…
Ta parole, ton Esprit, ton Corps et ton Sang me fortifient.
»

Certains ensembles, comme ici, ont pris l’habitude de reprendre en conclusion le premier mouvement. On peut s’interroger sur la pertinence de cette habitude.

La cantate BWV 34 date de 1740 ; c’est une des dernières que Bach nous a laissée. En réalité, il s’agit d’une « cantate-parodie » : chœurs et arias sont repris et adaptés d’une cantate nuptiale que le compositeur avait écrite pour le mariage d’un ami pasteur.

Cette cantate intitulée Ô EWIGES FEUER, Ô URSPRUNG DER LIEBE = Ô FEU ETERNEL, Ô ORIGINE DE L’AMOUR, développe la même idée que la cantate précédente mais utilise un autre procédé pour enchâsser l’idée fondatrice. Ici, le plan est rigoureusement symétrique, le cœur du texte en occupe exactement le centre. Nous entendons successivement :

1° Un chœur introductif riche de vocalises flamboyantes sur Feuer, le feu ou de longues tenues sur ewiges, éternel.
« Nous souhaitons tous devenir ton temple, ô Très-Haut ».
2° Un récitatif de ténor « Nos cœurs, Seigneur, gardent ta parole de vérité. »
L’aria, axe central de la cantate autour de laquelle tout gravite :
    « Bienheureuses les âmes élues dont Dieu fait sa demeure.
      Qui peut compter sur tant de bénédictions…
»
Le texte est chanté sur un rythme de berceuse, dans une sonorité adoucie de flûtes et de cordes avec sourdine. On n’est pas loin de l’esprit de la pastorale.
4° Un bref récitatif qui annonce le chœur final « Le Seigneur appelle sur la maison élue les mots de bénédiction… »

Un chœur final alterné « Paix sur Israël », succession d’accords solennels et de libre jubilation.

Ces cantates ne sont-elles pas une belle appropriation musicale de ce que l’Eglise chante dans la séquence de la Pentecôte « Veni Sancte Spiritus »

« Viens en nous, père des pauvres,
Viens, dispensateur des dons,
Viens, lumière de nos cœurs.
Consolateur souverain,
Hôte très doux de nos âmes,
Adoucissante fraîcheur
».

Emmanuel Bellanger

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