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La chapelle de Versailles : Espace lumineux, écrin sonore

La chapelle du château de Versailles vient de se voir libérée des échafaudages qui la masquaient depuis quelques années. Sa restauration extérieure, devenue indispensable, lui a redonné son éclat dans l’harmonie de ses pierres blanches, ses ardoises bleues et ses dorures scintillantes. Sa lumière intérieure transfigure la musique qui fut écrite pour elle, comme ce motet d’Henry Madin.
Publié le 28 juin 2021
Écrit par Emmanuel Bellanger

Vue de la Chapelle royale restaurée © château de Versailles / Thomas Garnier

Henry Madin est aujourd’hui un compositeur bien oublié. Entré dans la Compagnie de Jésus, il connut une carrière musicale estimable qui le conduisit à une belle notoriété en son temps. Né à Verdun en 1690, il reçut une solide formation musicale auprès de Sébastien de Brossard, maître de chapelle de la cathédrale de Meaux. Après différentes fonctions au service des cathédrales de Tours puis de Rouen, il parvint au poste envié de maître de musique à la Chapelle Royale à Versailles, où il mourut en 1748. Il a laissé une œuvre de qualité composée de messes, de grands et de petits motets ainsi qu’un livre théorique intitulé « Traité de contrepoint simple ou du chant sur le livre » la seule œuvre qu’il ait publiée en 1742.

Plafond de la Chapelle royale © château de Versailles / Thomas Garnier

Nous découvrons son motet Diligam te Domine

Ce qui distingue les grands des petits motets est, outre leurs dimensions, le nombre de musiciens mobilisés. Sur la première page manuscrite de cette partition, Madin a écrit :
« Diligam te Domine
Dessus, Haute Contre et deux Basses Tailles de R, Chœur. (le R signifie Récit)
7 dessus
6 hautes contres
7 tailles
7 basses tailles
7 basses
6 dessus de symphonie
6 basse continue
»

C’est ainsi que le compositeur indique la nomenclature des chanteurs et instrumentistes requis par ce motet.

Ce motet d’Henry Madin eut beaucoup de succès au XVIIIème siècle puisqu’il fut donné  chaque année entre 1748 et 1759. Il utilise le texte de quelques versets du psaume 17.

Le motet Diligam te se compose de plusieurs mouvements :

AIR DE SOPRANO
Diligam te Domine fortitudo mea, Dominus firmamentum meum et refugium meum et liberator meus. Deus meus adjutor meus et sperabo in eum. Protector meus et cornu salutis meae, protector meus. Susceptor meus et cornu salutis meae. Dilagam…

Je t’aime, Seigneur, ma force : Seigneur mon roc, ma forteresse, Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire.

Pour goûter cette belle musique, on peut repérer les procédés sonores qu’utilise le compositeur, ceux de son époque que les auditeurs reconnaissaient spontanément et que nous pouvons aujourd’hui encore apprécier. Par exemple ici les longues vocalises sur liberator, adjutor, sperabo. Il s’agit d’une simple amplification de l’accentuation naturelle des mots qui permet de faire vivre au chanteur et à l’auditeur ce qu’ils contiennent de force et de sentiment.

CHŒUR
Laudans invocabo Dominum et ab inimicis meis salvus ero. Laudans…

Louange à Dieu ! Quand je fais appel au Seigneur je suis sauvé de tous mes ennemis.

La modulation en mineur à partir de inimicis, mes ennemis, colore le chant d’une teinte dramatique. Le reste de ce mouvement n’est qu’exubérance, mots repris sans fin, vocalises joyeuses. Ce n’est plus un texte de louange chanté, c’est la musique elle-même, donc les musiciens, qui sont devenus louange au Seigneur.

RECIT
In tribulatione mea, invocavi Dominum et ad Deum meum clamavi. Et exaudivit de templo sancto suo vocem meam et clamor meus in conspectu ejus introïvit in aures ejus.

Dans mon angoisse j’appelai le Seigneur : vers mon Dieu je lançai un cri : de son temple il entend ma voix : mon cri parvient à ses oreilles.

Des accords plus tendus créent une atmosphère plus lourde. Remarquons les mouvements vocaux ascendants sur invocavi, clamavi, image insistante du visage tourné vers le ciel.
Un mouvement ternaire, presque comme une danse, traduit la confiance retrouvée sur exaudivit.

GRAVE
Commota est et contremuit terra. Fondamenta muntium conturbata sunt, conturbata sunt et commota sunt quoniam iratus est eis. Ascendit sumus in ira ejus et ignis facie ejus exurgit carbones descensi sunt ab eo.

La terre titube et tremble, les assises des montagnes frémissent secouées par l’explosion de sa colère. Une fumée sort de ses narines, de sa bouche un feu me dévore, une gerbe de charbons embrasés.

Nous voici en pleine tragédie comme au théâtre : accords dramatiques martelés, cordes en fusée (quelques notes lancées rapidement), silences, chœur à l’unisson qui augmente les effets, contrastes voix graves voix aigües… Un tel texte ne peut qu’inspirer un compositeur.

RECIT A DEUX VOIX
Inclinavit caelos et descendit et caliga sub pedibus ejus et ascendit super cherubim et volavit super penas ventorum.

Il incline les cieux et descend, une sombre nuée sous ses pieds ; d’un Kéroub il fait sa monture, il vole sur les ailes du vent.

Notre oreille est ouverte maintenant et peut librement goûter les subtilités de la musique, par exemple le jeu d’équilibre entre les vocalises descendantes sur inclinavit et les ascendantes sur volavit.

CHŒUR FINAL
Propterea confitebor tibi Domine in nationibus et nomini tuo psalmum dicam.
Aussi je rendrai grâce parmi les peuples Seigneur, je fêterai ton nom.

Un grand motet doit se terminer normalement par un chœur final solennel rempli de joie et de louange.

Le XVIIIème siècle ignore la division musique sacrée/musique profane. Ou plutôt, ce qui les distingue, c’est le texte. Cette page d’Henry Madin respecte les codes aussi bien du théâtre que du sanctuaire, conçu comme un théâtre sacré. Le jeu des alternances, les images musicales traditionnelles, les techniques vocales, tout vient de l’estrade. C’est l’homme dans l’unité de sa personne qui chante : il ne s’agit pas tant d’une mise en musique d’un texte que d’un texte transfiguré devenu musique. Le musicien aussi bien que l’auditeur est emporté dans ce mouvement de louange, les voilà eux aussi transfigurés.

Emmanuel Bellanger

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