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La retranscription musicale : du vertical et du simultané

Nous poursuivons notre voyage d’été au pays des manuscrits musicaux. Transcrire la musique sur une feuille, c’est passer du temporel mobile par nature au visuel qui est fixe. Grande question qui a préoccupé les musiciens durant des siècles jusqu’à ce qu’ils trouvent la solution.
Publié le 11 juillet 2022
Écrit par Emmanuel Bellanger

Nous nous pencherons aujourd’hui sur deux questions : comment écrire les hauteurs et comment écrire plusieurs voix qui chantent ensemble, ce que nous appelons polyphonie ?

Ecrire les hauteurs

Les manuscrits présentés précédemment contiennent beaucoup de renseignements sur le chant mais ne peuvent donner les hauteurs exactes des notes. Il s’agit de passer d’une écriture dite in campo aperto, c’est-à-dire en champ ouvert à une écriture diastématique, c’est-à-dire donnant les intervalles (ce mot étrange vient du grec diastéma qui signifie intervalle). 

Comme souvent, les grandes inventions surgissent des circonstances : pour bien disposer les neumes parallèlement au texte, les scribes avaient l’habitude de tracer à la pointe sèche une ligne (invisible au musicien) pour leur servir de guide. Qui eut l’idée de rendre visible cette ligne pour indiquer l’emplacement d’une note, celle immédiatement supérieure au demi-ton, le plus petit intervalle de l’échelle pratiquée ? Nous sommes dans les dernières années du XIe siècle. La portée était inventée. Très rapidement le nombre de lignes s’est multiplié. Voici un manuscrit écrit sur une portée de quatre lignes avec des notes qui rappellent l’écriture neumatique primitive. Le chemin vers les notes bien distinctes donc plus facilement lisibles, est tracé. On put alors transmettre un chant sans avoir à envoyer un chanteur. Une toute nouvelle approche devenait possible par la technique du déchiffrage.

Lectionarium officii festivum (Grégoire Ier, Bède le Vénérable, Odon de Glanfeuil), 1101-1125, manuscrit sur parchemin, Saint-Maur-des-Fossés ou Saint-Maur de Glanfeuil, Bibliothèque nationale de France. Département des Manuscrits. MS Latin 3778 ©GallicaBnF 

Ecrire la polyphonie

Rappelons que notre cathédrale Notre-Dame de Paris fut le siège d’une école musicale prestigieuse appelée l’École de Notre-Dame aux XIIe/XIIIe siècles. La rencontre entre un volume architectural exceptionnel, une liturgie développée et des musiciens géniaux ont permis à une nouvelle forme de musique d’éclore : la polyphonie.

La manière de consigner par écrit cette nouvelle polyphonie nous rappelle ce qu’est la musique par nature : une affaire d’oreilles et de poumons, non une affaire de signes ou de dessins. Voici un manuscrit d’un chant à 3 voix de Pérotin. A la basse on reconnaît le mot Alléluia très largement étalé pour laisser place à deux voix de longues vocalises aux valeurs rythmiques apparemment imprécises. La grande règle pour les chanteurs est de bien s’écouter mutuellement pour trouver sa juste place dans la polyphonie. Cette première manière de transcrire plusieurs voix devant se dérouler harmonieusement nous rappelle une chose essentielle : la musique est de nature sonore, elle s’écoute. Cela concerne en premier lieu les musiciens eux-mêmes. Les manuscrits que nous découvrirons au cours de cet été nous rappellerons souvent cette règle d’or de la musique.

Pérotin (c. 1160-C. 1230), Manuscrit du trope Alleluia nativitas à 3 voix pour la Fête de la Nativité de la Vierge Marie (début) © Wikimedia commons

Voici comment sonne cette page :

Les musiciens de la Renaissance ont ignoré notre manière moderne de transcrire la polyphonie sur quatre ou cinq portées donnant les différentes voix les unes au-dessus des autres. C’est ici que notre titre mystérieux dévoile son sens : l’idée de disposer verticalement ce qui doit sonner simultanément (par exemple les différentes notes qui forment un accord) est moderne. On ne pensait pas du tout comme cela au XVIe siècle. Les différentes voix d’un chœur étaient écrites séparément : le chanteur n’avait sous les yeux que sa partie ; c’est son oreille qui le guidait et le mettait en harmonie avec les autres chanteurs. La musique est toujours essentiellement un phénomène acoustique, elle s’écoute donc avant de se lire. Voici une partition de Roland de Lassus (1532-1594) et sa traduction sonore dans la seule version disponible.

Emmanuel Bellanger

Motet Benedicite gentes Dominum Deum nostrum, voix de superius (Paris : A. Le Roy et R. Ballard, 1587) cote Bibliothèque Mazarine, 4° 19703-1 permalien https://mazarinum.bibliotheque-mazarine.fr/ark:/61562/mz3124
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