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Bach : Des points et des lignes

Notre exploration estivale au pays des manuscrits musicaux se poursuit : ils nous en apprennent beaucoup sur ce qu’est en réalité la musique. Mais peut-on enfermer l’art dans une définition trop précisément délimitée ? Pourtant il faut bien fixer rythmes et mélodies si l’on veut pouvoir les transmettre. Mais tout est-il fixable ?
Publié le 03 août 2022
Écrit par Emmanuel Bellanger

Portrait de J. S. Bach à l’orgue, 1725, gravure, British Museum, Londres ©Wikimedia commons

Voici un manuscrit émouvant : il est de la main même de Jean-Sébastien Bach !

Jean-SébastiEn Bach, Prélude et Fugue en si mineur pour orgue, Bwv 544, manuscrit autographe ©WIKIMEDIA COMMONS

Il s’agit d’une des pages d’orgue majeures du compositeur, fruit de sa maturité tant dans la maîtrise du métier que dans la densité de l’expression. Ce manuscrit nous révèle lumineusement la nature de la musique, pas seulement celle de Bach, mais toute musique.

Ce prélude en si mineur pour orgue date vraisemblablement des années 1727/1736, années au cours desquelles est née entre autre la Passion selon Saint-Matthieu.

La nature de la musique est « de n’être mouvement ». Louis Aragon

Même quand on  ne lit pas la musique, c’est-à-dire quand on n’a pas appris les codes de sa  transcription, la nature dynamique de ce prélude en si mineur s’impose au regard. La partition ne se présente pas comme un alignement de points sur des lignes, mais comme un enchevêtrement de lignes dans un jeu de contraste entre écriture dense et écriture légère, entre pénombre et lumière, image de la vie dans ses alternances d’inspirations et d’expirations.

Ce qui s’impose d’emblée, ce sont les ligatures, ces lignes qui relient les notes entre elles pour former des « mots » musicaux. Contrairement aux habitudes, ces ligatures ne sont pas rectilignes, elles dessinent un jeu de courbes et de contre-courbes qui guident l’interprète : jouer les notes au bon moment ne suffit pas, il faut surtout jouer ce qui les relie les unes aux autres. En musique, une note n’a pas d’existence en soi : elle ne trouve sa cohérence que dans son mouvement qui l’intègre entre ce qui l’a précédée et ce à quoi elle prépare. La nature de la musique est « de n’être mouvement » comme l’a écrit Louis Aragon. C’est ce qui est si difficile à traduire visuellement et que l’écriture de Jean-Sébastien Bach révèle dans la souplesse de ses ligatures.

Ce prélude en si mineur se présente comme un concerto grosso à l’italienne, avec son dialogue entre l’ensemble de l’orchestre (le ripieno) et le ou les solistes (le concertino).
Laissons-nous emporter dans ce jeu d’alternances entre densité sonore et transparence.

La fugue qui suit est intimement rattachée à ce prélude : à ce que celui-ci pouvait traduire de tension dans ses contrastes dynamiques et harmoniques entre dissonances et consonances, cette fugue apporte une forme d’apaisement dans son thème intégralement conjoints (ce qui est rare chez Bach). 

Une page d’une telle densité musicale ne pouvait pas ne pas intéresser un Franz Liszt : voici l’adaptation pour le piano qu’il nous propose :

Que ce temps de vacances soit pour chacun comme ce prélude et fugue : après les tensions de la vie, un moment de repos et de lumière.

Emmanuel Bellanger

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