Voir toutes les photos

De l’universel et du particulier

Notre temps n’échappe pas à son lot d’inquiétudes : il en a toujours été ainsi. Le danger du repli sur soi semble renaître dans de nombreux pays. L’Histoire nous apprend que cette pente ne conduit jamais à des situations enviables. De nombreux artistes ont montré le chemin ; il en est même qui, en s’enracinant dans leurs traditions ont créé une œuvre qui s’est ouverte au monde et vibre dans le cœur de tous les hommes. Ainsi en est-il de Bela Bartok.
Publié le 11 juin 2018
Écrit par Emmanuel Bellanger

Victor Vasarely, vitraux de l’église Saint-François-d’Assise de Port Grimaud, France

Comme le peintre Vasarely (1906-1997), Bela Bartok est né en Hongrie en 1881. Mais, à la différence du peintre, le musicien est resté dans son pays jusqu’au moment où cela ne fut plus possible, c’est-à-dire en 1940. Il mourut aux Etats-Unis en 1945.

La ville natale de Bartok, Nagyszentmilos, est aujourd’hui en Roumanie. La ville où il reçut ses premières leçons de piano est aujourd’hui en Ukraine. Les bouleversements de l’histoire prédisposaient Bartok à s’ouvrir au monde. Cependant c’est en consacrant sa vie de musicien à l’étude du répertoire folklorique hongrois qu’il a été amené à élargir son écoute à l’ensemble des pays de l’Europe centrale et même à la Turquie ou l’Afrique du Nord. Tout cela a nourri sa création musicale : les échelles, les rythmes, les couleurs instrumentales et tout ce qui constitue une composition parfaite. Il n’est sans doute pas exagéré de décerner à Bartok le titre d’un des plus grands compositeurs du 20ème siècle.

Photographie de Bela Bartok

La « Musique pour cordes, percussion et célesta » a été créée à Bâle le 21 janvier 1937 par l’orchestre de Paul Sacher, un admirable musicien suisse à qui nous devons d’innombrables créations contemporaines.

Je vous propose de nous livrer à un exercice particulier d’écoute attentive : le musicien nourri de tradition hongroise nous introduit au cœur même du mystère de la musique en un langage que tous peuvent comprendre, au sens premier de prendre ensemble, de se laisser prendre aussi.

On peut s’étonner de la modestie du titre : « musique… » : cela ne suffit-il pas ? Le reste appartient à chacun de nous qui l’écoutons. Nous allons entendre le premier mouvement « Andante tranquillo ». L’ensemble instrumental comprend l’ensemble des cordes (violons, altos, violoncelles, contrebasses), une palette de percussions (timbales, grosse caisse, tam-tam, xylophone) auxquels se joignent deux instruments à clavier : le piano et le célesta.

Cet instrument se présente comme un petit piano. Mais les marteaux (identiques à ceux d’un piano) frappent non pas des cordes mais des lamelles métalliques, ce qui donne un son scintillant très caractéristique qui se distingue facilement au sein de l’ensemble. Voici un exemple de célesta :

Nous allons écouter attentivement cette page de Bela Bartok, une de celles qui ont fait sa gloire dans le monde entier.

La musique s’ouvre sur une seule note (LA) et développe une mélodie souple, un peu comme une mélopée entre le plain-chant et l’Orient. Puis, les autres instruments entrent les uns après les autres, une fois au-dessus, une fois au-dessous, ainsi 13 fois : écoutez distinctement chacune des entrées. La musique s’ouvre progressivement, lentement, comme on ouvrirait délicatement un éventail précieux. On arrive ainsi sur une note lancée dans toute la puissance des cordes qui marque à la fois une rupture et une attente : cette note est un MI bémol. Le célesta entre en scène sur un bref motif arpégé répété 17 fois…

Enfin l’éventail se referme lentement pour laisser le premier mouvement de la « musique pour cordes, percussion et célesta » se taire sur le LA par lequel tout avait commencé.

Lorsqu’on sait que toutes les proportions de ce mouvement (nombre de mesures, rapports entre les différentes parties, intervalles constitutifs – la/mi b, 13/17) ont été calculées selon les règles du nombre d’or, cette œuvre cache en elle, au-delà de la richesse sonore, des mystères qui atteignent à l’universel des cultures du monde : tournures orientales, construction en forme de fugue à l’occidentale, recherches spéculatives fascinantes… C’est le propre des grandes œuvres de faire entendre bien au-delà des notes.

 

Emmanuel Bellanger

Contenus associés
Commentaires
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *