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Dans la lumière éternelle

La dernière grande fête de l’année liturgique est celle de la Toussaint, souvent associée à l’idée de tristesse et de mort ; nous sommes aidés en cela par l’évolution de la saison d’automne où les feuilles ne sont pas les seules à tomber. Or la Toussaint est une fête de lumière, celle de tous les Saints émerveillés dans la vision béatifique, eux qui nous ouvrent le chemin. C’est bien ce que nous donnent à entendre les musiciens.
Publié le 23 octobre 2017
Écrit par Emmanuel Bellanger

Clocher Franc-comtois

Voici une belle occasion de nous pencher sur le « faire » des musiciens : l’expérience artistique avec ce qu’elle comporte de mystérieux propre à chaque personne commence par des actes et des objets très concrets. La composition musicale, comme toutes formes de création artistique, obéit à des règles précises et met en œuvre des objets soigneusement façonnés et combinés entre eux pour construire une architecture parfaite. Ce qu’on appelle l’inspiration ne peut venir que du travail régulièrement poursuivi à la recherche de la vraie liberté du créateur : celle du solide métier auquel s’ajoute cette part de mystère qui jaillit de la plume et de l’oreille.

La musique a ceci de supérieur à la parole : elle permet d’entendre plusieurs sons en même temps. Quand plusieurs personnes parlent ensemble, on ne les comprend pas. La musique trouve son véritable sens dans ce qu’on appelle la polyphonie. Dès le douzième siècle, les compositeurs ont exploré cette technique d’écriture sous la forme de ce qu’on appelle le cantus firmus. Voici un exemple de motet médiéval qui utilise cette très ancienne technique : le thème liturgique est chanté en valeurs très longues (au point d’être méconnaissable), c’est lui qu’on appelle cantus firmus, sur lequel un autre musicien chante une ligne mélodique amplement développée. On pourrait comparer cette manière de faire à l’architecture : la charpente et la décoration qui lui donne sens.

 

L’organiste Marcel Dupré (1886-1971) utilise la même technique de composition dans cette pièce pour le jour de la Toussaint. Son nom est un peu oublié aujourd’hui sauf de la part des organistes, mais il jouit en son temps d’une célébrité mondiale : professeur au Conservatoire de Paris de 1926 à 1954, organiste titulaire du grand instrument de Saint-Sulpice à Paris de 1934 à sa mort, Marcel Dupré est l’artisan de la brillante école de l’orgue français du 20ème siècle.

Le Tombeau de Titelouze duquel est extraite la page que nous allons écouter date de 1942. Dupré se place sous la protection du fondateur de l’orgue français Jehan Titelouze, organiste de la cathédrale de Rouen dans la 1ère moitié du 17ème siècle.
Cette page de Dupré est écrite sur l’hymne latine Placare Christe servulis dont la première strophe chante :       « Pardonnez, ô Christ, à vos serviteurs
                                  Pour qui, au tribunal de votre miséricorde
                                  Marie, leur Patronne, implore
                                  La clémence du Père »

selon la traduction portée en tête de la partition. Voici cette hymne enregistrée au cours d’une célébration en Italie.

 

Dupré utilise exactement la même technique que ses collègues médiévaux : le thème liturgique en valeurs longues est chanté tantôt à la pédale dans le grave tantôt à la voix supérieure, environné de guirlandes ininterrompues de croches comme des sonneries joyeuses qui nous situent bien dans l’exultation de la Toussaint.

 

 

Emmanuel Bellanger

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