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Claude Debussy, entre l’antique et la modernité

Il y a cent ans, cette année, que Claude Debussy (1862-1918) a quitté ce monde. Comme toujours avec les grands créateurs, il est facile de leur attribuer quelques caractères particuliers forcément réducteurs : impressionnisme, ondulations, vagues, par exemple pour notre compositeur. Nous rencontrerons Debussy tout au long de cette année : pour commencer voici une œuvre peu souvent jouée et donc à découvrir.
Publié le 15 janvier 2018
Écrit par Emmanuel Bellanger

Danse sacrée, Danse profane date de 1904. Debussy est alors dans le plein épanouissement de son art : son opéra Pelléas et Mélisande a été créé en 1902 (nous en écouterons quelques extraits au cours de cette année). Mais l’œuvre assez brève que je vous propose aujourd’hui nous éclaire sur son monde musical intérieur.

Debussy ne nous a laissé aucune œuvre religieuse ou sacrée, c’est en cela qu’il nous intéresse : le défricheur qu’il fut se nourrit d’une tradition esthétique qui s’enracine bien au-delà de ce qui s’appelait tradition en son temps. Nous pouvons discerner dans sa musique les résonances musicales entre la création et une certaine tradition venue du monde de la liturgie. Sans que cela fût clairement exprimé il s’agit bel et bien d’un dialogue entre culture et culte.

Ainsi entend-on dans ces danses des réminiscences de modalité antique et grégorienne. Nous sommes (1904) en pleine œuvre de restauration du chant grégorien par les moines de Solesmes, tant sur le plan rythmique que sur celui des échelles modales ; toutes ces questions ont agité les compositeurs et musicographes du temps.

D’autre part, nous connaissons l’intérêt de Claude Debussy pour les sculptures antiques qu’il avait découvertes au Louvre.

   

(à g.) Les danseuses de Delphes, IVe siècle av. J.-C. – musée archéologique de Delphes
(à d.) Les danseuses de Delphes, moulage en plâtre réalisé en 1896-1900 – musée du Louvre

Le terme de sacré ne doit pas être entendu ici au sens habituel : il est à rapprocher plutôt de hiératique, solennel, noble : cette danse est une sarabande, c’est-à-dire une danse lente qui donne l’impression qu’il s’agit de mettre en œuvre un culte mystérieux.

La Danse sacrée est écrite en mode dorien, c’est ce qui donne à cette belle pièce ce caractère si particulier. La Danse profane qui s’enchaîne directement est une valse un peu langoureuse, tournoyant dans un autre mode antique, le mode lydien, qui aussi donne une couleur presque exotique à cette musique.

Cette couleur vient aussi d’une instrumentation inhabituelle : Danse sacrée, Danse profane a été commandé par la maison Pleyel qui cherchait à promouvoir une harpe de sa fabrication. Cette œuvre est écrite pour harpe et orchestre à cordes. On pourrait dire aux musiciens ce que Debussy disait aux pianistes qui interprétaient sa sonate pour violoncelle et piano : « le piano ne lutte pas contre le violoncelle, il l’accompagne. » Ici les cordes ne luttent pas contre la harpe, elles l’accompagnent.

Un petit supplément : voici, en écho à la Danse sacrée, le premier préludes de Claude Debussy pour piano, intitulé Danseuses de Delphes : ne sommes-nous pas dans le même monde musical ? Hiératisme, solennité, noblesse…

Emmanuel Bellanger

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