C’est à Arcachon en 1917 que Claude Debussy consacre ses dernières forces à la composition de cette ultime sonate : 1917 est une année difficile pour lui-même et pour la France dans une guerre qui n’en finit pas ; le compositeur lui-même se sait atteint par la maladie et pourtant, cette page respire la vie, la fantaisie, l’invention toujours renouvelée, la passion. Voilà un magnifique exemple du mystère quasi miraculeux de l’acte créateur chez un artiste : c’est la musique seule qui l’a tenu jusqu’à la fin.
Nous savons que Debussy nourrissait une admiration totale pour Jean-Sébastien Bach : rencontre inédite et surprenante de deux personnalités musicales qui n’ont apparemment rien de commun, ni dans l’esthétique ni dans la conception de la vie. Et pourtant…
Il ne faut pas s’arrêter aux provocations qu’aimait Debussy lorsqu’il écrivait par exemple : « Ne corrigez jamais les sonates pour violon et piano de J.S. Bach un dimanche où il pleut ! Je viens de terminer la révision des susnommées et c’est la pluie intérieure. » Il venait de relire les épreuves de l’édition Durand.
Dans le fameux recueil de ses écrits divers – critiques de concerts, présentations et analyses d’œuvres, déclarations à des journaux – intitulé « Monsieur Croche », Debussy livre plus sérieusement sa passion pour le vieux Cantor :
« Dans la musique de Bach, ce n’est pas le caractère de la mélodie qui émeut, c’est sa courbe […] Qu’on n’aille pas croire à quelque chose de hors nature ou d’artificiel. C’est au contraire infiniment plus ‘’vrai’’ que les pauvres petits cris humains qu’essaye de vagir le Drame lyrique. Surtout la musique y garde sa noblesse, elle ne condescend jamais à s’adapter à ces besoins de sensiblerie qu’affectent les gens dont on dit qu’ils ‘’aiment tant la musique’’. »
Ecoutons l’adagio de la sonate BWV 1014 de Bach :
On peut comprendre en quoi le violon de Bach fut un modèle pour Debussy : la souplesse de la ligne mélodique, sa ‘’courbe’’, la variété des sonorités, le dialogue intime entre le piano et le violon, l’invention permanente d’une musique qui se trouve au fur et à mesure qu’elle se cherche dans une réelle liberté pourtant maîtrisée par une pensée créatrice rigoureuse. C’est tout cela qui permet à l’auditeur de découvrir des mondes sonores variés où alternent des moments passionnés et apaisés.
C’est en tenant la partie de piano que Debussy apparut pour la dernière fois en public le 5 mai 1917, le violoniste étant le jeune Gaston Poulet qui devint un grand nom de son instrument.
Je vous propose une impressionnante interprétation du violoniste russe David Oistrakh, prise en 1972.
Emmanuel Bellanger