Nicolas-Jean-Baptiste Raguenet, Vue de l’Île Saint-Louis avec Notre-Dame de Paris, détail, 1752
Plus connu comme auteur d’opéras et d’opéras ballets, André Campra (1660-1744), natif d’Aix-en-Provence, a exercé son métier de compositeur au cours d’une grande partie de sa carrière comme Maître de Chapelle à Toulon, Arles, Toulouse avant d’accéder à la cathédrale de Paris.
Les historiens de la musique situent Campra entre Jean-Baptiste Lully et Jean-Philippe Rameau, dans une œuvre qu’on pourrait qualifier de « l’entre deux » : entre le style français et le style italien, entre l’opéra et le motet, entre la scène et le sanctuaire.
Le Salve Regina est extrait du premier Livre de motets, signé par « Campra, Maître de Musique de l’Église de Paris », publié pour la première fois en 1695. Ce motet pour une voix soliste et orgue est un bel exemple de l’influence de l’opéra sur la musique d’église. Voilà posée une fois encore la place de la frontière entre musique sacrée et musique profane : chacune se distingue-telle par des oppositions stylistiques franches ou cette distinction ne viendrait-elle pas d’ailleurs ? Le texte, le rapport au volume architectural… Il y a pourtant une dignité chez Campra qui fait de lui un musicien né pour le sanctuaire. Ses contemporains ont parfois regretté qu’il ne s’y consacrât pas totalement comme l’écrivit le musicographe Lecerf de la Viéville, son contemporain : « Si ce malheureux garçon n’avait point déserté l’Église pour aller servir l’Opéra, je pense que l’Italie aurait peine à tenir contre nous. »
Ce qui caractérise ce Salve Regina : la grâce bien française, le sens de la déclamation lyrique, l’expression mélodique, la richesse harmonique sans aucune emphase, la mise en relief des mots essentiels pour Campra, qui colorent l’ensemble de cette belle page et en donnent le sens d’une prière à la fois suppliante voire plaintive mais confiante.
L’œuvre s’ouvre sur la salutation respectueuse en une formule descendante sur Salve Regina. Le chant s’équilibre en une belle remontée confiante sur « vita, dulcedo, spes nostra, vie, douceur, notre espoir. » Le sommet mélodique est atteint sur clamamus (« nous crions vers toi »). Les mots suspiramus, gementes et flentes (« nous soupirons, gémissant et pleurant ») sont ponctués de silences selon les règles de la rhétorique musicale du temps pour marquer les soupirs de l’orant. De longues vocalises à l’italienne illustrent les pleurs répandus sur lacrymarum valle, la « vallée de larmes ».
Changement de ton et de dynamique à partir de Eia ergo advocata nostra : « donc vous notre avocate… ». La prière se fait demande plus précise. La fin peut nous surprendre : sur Ô clemens, ô pia, ô dulcis virgo Maria, on s’attendrait à une musique suppliante, aux accents expressifs alors que le tempo se fait plus vigoureux, c’est la joie du priant qui se sait déjà exaucé qui se donne à entendre.
Salve, Regína, Máter misericórdiæ Víta, dulcédo, et spes nóstra, sálve. Ad te clamámus, éxules, fílii Hévæ. Ad te suspirámus, geméntes et flentes in hac lacrimárum válle. Eia ergo, Advocáta nóstra, íllos túos misericórdes óculos ad nos convérte. Et Jésum, benedíctum frúctum véntris túi, nóbis post hoc exsílium osténde. O clémens, O pía, O dúlcis Vírgo María. |
Salut, ô Reine, Mère de miséricorde, Notre vie, notre consolation, notre espoir, salut ! Enfants d’Ève, de cette terre d’exil nous crions vers vous ; Vers vous nous soupirons, gémissant et pleurant dans cette vallée de larmes. Ô vous, notre Avocate, tournez vers nous vos regards compatissants. Et, après cet exil, obtenez-nous de contempler Jésus, le fruit béni de vos entrailles, Ô clémente, ô miséricordieuse, ô douce Vierge Marie ! |