Au milieu du square situé devant la façade de l’église Sainte-Clotilde à Paris, dont Franck fut l’organiste titulaire de 1858 à sa mort, trône un monument dédié à notre compositeur : assis devant ses claviers, les yeux fermés aux agitations du monde, il reçoit ce que lui dicte un ange penché sur son oreille. Si on écoutait attentivement sa musique, une toute autre personnalité nous serait révélée. Voici à titre d’exemple, une page moins connue de son œuvre bien révélatrice pourtant du véritable César Franck : Prélude, Aria et Final pour piano, écrite au tournant de 1887.
Cette musique étiquetée « musique profane » l’est-elle uniquement ? Nous savons que la frontière entre profane et sacré est souvent imprécise en art. Franck s’est investi résolument dans ces pages, s’est confié simplement, nous ouvre une fenêtre sur sa nature profonde, faite de douceur et de violence, de certitudes et d’attentes, au fond comme chacun et chacune de nous. La vie de César Franck, comme celle de tout homme n’est-elle pas « une histoire sacrée » ?
Prélude, Aria et Final se présente, comme son titre l’indique, en trois parties apparemment distinctes mais profondément unies.
Le Prélude s’ouvre sur une Marche à quatre temps, martelant des accords sûrs d’eux-mêmes, comme si la vie ne rencontrait jamais d’obstacles. Le deuxième thème nous alerte, les choses ne sont pas aussi simples qu’elles paraissent : un thème mélodique, sinueux, accompagné de triolets et de double-croches trace sa route malgré les écueils rythmiques. Ce premier mouvement se développe dans le jeu d’alternance entre ces deux thèmes. Un élément central vient toutefois perturber ces échanges : après un relativement long silence, un nouveau thème en valeurs longues (des blanches), joué simplement en octaves, vient comme une respiration apaisante au milieu de ce long développement.
Quelques mesures d’une grande subtilité nous conduisent au deuxième mouvement : Aria. Il faut simplement écouter se dérouler cette magnifique mélodie enrichie progressivement de sonorités de plus en plus subtiles, à peine troublée de rythmes plus denses au cours de son développement. Le sentiment qui prévaut ici est celui d’un « calme rayonnant tout ourlé de mystère » selon la belle formule de Jean Gallois.
Survient brutalement le Final. C’est une toute autre image de César Franck qui nous est révélée : double-croches violemment martelées, le clavier subissant une véritable violence, le thème chromatique enfermé au-dessous d’un sol# répété 55 fois de suite ! Quelle violence brutale ! Comme si le compositeur se heurtait à un obstacle infranchissable, l’empêchant de vivre, comme si la vie n’avait pas de sens devant les absurdités qui nous assaillent ! Cela résonne fortement aujourd’hui. Mais la lumière au bout du chemin n’est jamais éteinte, c’est la foi de Franck, que nous entendons dans les dernières mesures de Prélude, Aria et Final. Comme il le fait souvent, le compositeur rappelle en approchant de la conclusion les thèmes entendus au cours de son œuvre (comme l’avait fait Beethoven dans la IXème Symphonie).
Ce triptyque se conclut sur un élément entendu dans l’Aria. Vincent d’Indy reçoit ces dernières notes comme une « évaporation de la mélodie qui semble fuir à travers l’espace. »
Il n’est pas interdit de l’entendre, non pas comme une fuite, mais comme une réponse apaisée aux angoisses de toute vie humaine. C’est la nature réelle d’un César Franck bien enraciné dans la vie qui se révèle et non un César Franck désincarné, angélique, séraphique… Voilà qui le rend bien proche de nous, mieux que cela : un des nôtres.
Nous écoutons Prélude, Aria et Final de César Franck dans une interprétation historique d’Alfred Cortot, datant de 1929.
Emmanuel Bellanger