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Au pays des partitions – avec Ravel

Nous voici arrivés au terme de ce bref parcours à la découverte des manuscrits musicaux. On pourrait entrevoir comme ligne directrice de cette aventure la recherche persévérante de fixer par écrit l’intégralité de la musique. Mais cela est-il possible ? Tout, vraiment tout peut-il être consigné dans une partition ?
Publié le 12 septembre 2022
Écrit par Emmanuel Bellanger

Un musicien comme Maurice Ravel recopiait ses partitions avec le plus grand soin car il y précisait le plus finement ses intentions. Nous savons, par exemple, qu’il ne laissait jamais traîner une partition en cours de réalisation : il ne supportait pas qu’un œil étranger ait pu apercevoir quelque chose qui ne fût pas définitif. Il tenait à ce que les éditeurs reproduisent exactement toutes les indications portées autour des notes : nuances, tempi, dynamique… Il est indispensable pour l’interprète de bien se pénétrer de ces précisions pour entrer dans l’esprit de la musique.

Maurice Ravel, manuscrit de Frontispice, 1918 © Wikimedia commons 

Transcrire un jeu permanent de nuances

Comme exemple, voici trois pages de notre compositeur ; nous pouvons les goûter comme les photos d’un album de vacances que l’on feuillette avec plaisir pour retrouver un peu de ce qui anime ce voyage au pays des manuscrits et partitions de musique.

La première page s’intitule Oiseaux tristes. Elle est extraite d’une Suite pour piano : Miroirs. ‘Très lent‘, précise le compositeur, dans la nuance pianissimo : nous sommes devant un paysage un peu mélancolique, aux appels mystérieux d’oiseaux invisibles, qui résonnent à travers l’espace. Comment transcrire par signes écrits ce jeu de résonances au seuil du silence ? ‘Pressez légèrement‘ suggère au pianiste de trouver lui-même la bonne proportion, comme s’il se laissait aller à improviser.

La deuxième page de notre album d’été est extraite de la même Suite : La vallée des cloches, dernière page des Miroirs, écrits en 1905. Même quand on ne lit pas note à note une partition, on peut être fasciné par le soin avec lequel Ravel conduit la main et la sensibilité du pianiste pour restituer ces étranges échos de cloches que les subtiles harmonies prolongent et transfigurent : on peut suivre, par exemple, le jeu permanent des nuances allant du pianissimo au forte puis y revenant, comme des vagues sonores que les soufflets qui s’ouvrent et se ferment dessinent. Mais, le ‘lent‘ ou ‘très lent‘, le ‘très doux‘ que demande le compositeur restent au choix de l’interprète, bien sûr. La manière de doser les ralentis n’est pas une affaire de mathématiques, mais bien de sensibilité, d’équilibre qui dépend de tellement de choses : le piano, la salle… Comment écrire cela sur une partition ?

Pour conclure, comment transcrire l’esprit de ce deuxième mouvement de la sonate de Ravel pour piano et violon intitulé Blues. Le compositeur avait bien perçu ce que le jazz tout nouveau en 1924, apportait de fraîcheur à la musique. Du point de vue qui nous intéresse, celui de la mise en partition, comment retenir et transmettre exactement le caractère d’une telle musique ? La chose est-elle-même souhaitable, alors que dans une telle page, l’expression du corps des interprètes fait partie de la musique, elle en est même presque le plus important ?

La question de la transcription de la musique sur partition répond à un double souci qui habite les musiciens depuis les origines : comment garder la mémoire de ce qui a été imaginé et surtout, comment transmettre et répandre la musique fidèlement ?

Mais ce que nous pouvons retenir de ce parcours, c’est le mystère lié à la nature même de la musique : un art de l’éphémère, du fugitif mais aussi un art incarné, signe de l’essence même de toute vie : le souffle, la résonance, l’harmonie… La musique, c’est un peu comme les nuages ainsi que les évoque le philosophe et musicien Vladimir Jankélévitch :
« Les nuages se nouent et se dénouent comme des pensées […] comme l’ouate floconneuse et duvetée qui flotte rêveusement dans l’azur. »

Emmanuel Bellanger

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