Il y a quelque chose de solennel dans une année qui commence. On peut y entrer, comme nous y invite cette grille dorée qui délimite l’entrée du château de Versailles, résolument mais conscients de tout l’inconnu qu’il nous faudra affronter.
Ce qu’on appelle communément « l’Ouverture à la française » traduit bien cette manière d’entrer : la musique s’ouvre sur une marche bien rythmée avec ses valeurs pointées qui évoquent un cortège quelque peu cérémonieux. Suit un volet central plus allègre, plus léger : nous parvenons ici au cœur de la musique. L’Ouverture de l’opéra s‘achève sur un troisième volet symétrique du premier. Tout dans ce style musical est bâti sur le principe de la symétrie comme la grille de Versailles.
Nous pouvons entrer dans la nouvelle année résolument mais avec une certaine gravité solennelle comme on entre dans l’opéra de Jean-Baptiste Lully « ATYS« , écrit en 1676.
Mais il se peut que certains d’entre nous ne voient pas l’arrivée d’une nouvelle année avec optimisme. A l’image de cette villa palladienne, l’année qui commence peut se présenter comme une architecture inquiétante presque menaçante dans sa monumentalité à la porte seulement entrouverte : on n’ose à peine entrer.
L’opéra DON GIOVANNI de Mozart, créé en 1787, s’ouvre sur une succession d’accords massifs, angoissants, comme une porte solidement fermée ; le rythme de marche qui suit ne semble rien arranger. Décidément cette musique n’annonce rien de bon…
Que les évènements dramatiques toujours nombreux dans le monde ne ferment pas nos esprits à une entrée confiante dans la nouvelle année.
Une nouvelle année est essentiellement ouverture à un inconnu nourri de rêves, de souhaits, d’attentes. C’est un paysage encore bien imprécis qui se dévoilera tout au long de l’année comme cette toile de Turner. Les formes sont imprécises, on ne sait pas bien où l’on est mais la lumière irradie le tableau.
Nous ne savons pas ce que sera cette année, mais nous savons qu’une lumière brille toujours, si faible soit-elle.
C’est exactement ce que nous dit Beethoven dans les extraordinaires premières notes de sa 9ème symphonie née en 1823 : nous sommes face à l’inconnu. Quelques chutes de quintes à vide sur un trémolo des seconds violons et violoncelles à peine renforcés par les cors. Tout cela seulement sur deux notes : la et mi ! Qu’on imagine les auditeurs de 1823 devant cette musique mystérieuse. Beethoven ouvre nos oreilles comme Turner a ouvert nos yeux pour accueillir ce qui doit advenir. C’est bien ce que nous avons à faire en ce début d’année.
Il y a une autre manière d’entrer dans la nouvelle année, à l’image de cette porte, en réalité un simple passage entre deux parties de jardin : les choses se passent simplement, sans cérémonie, sans préambule, comme dans la 4ème symphonie de Johannes Brahms composée en 1884/85. Dès la première note nous sommes au cœur du premier mouvement. Cette musique donne l’impression d’avoir commencé avant même que la première note ne soit jouée, ici par les violons qu’accompagnent des arpèges de violoncelles et des rythmes des bois (flûtes, clarinettes et bassons).
Une année qui commence n’est, en réalité, que la continuité de celle qui s’achève, n’est-ce pas ?
Que chacun d’entre vous vive ce début d’année dans la paix et la confiance avec des oreilles bien ouvertes aux beautés du monde.
Emmanuel Bellanger