Frère Marc Chauveau – Nous sommes heureux de vous accueillir à La Tourette, où vous venez de passer quatre jours à travailler dans nos murs. Mais vous connaissiez déjà le couvent pour être venu il y a une dizaine d’années avec les étudiants des Beaux-Arts de Paris, où vous enseigniez. Comment revenez-vous au couvent et comment le regardez-vous dix ans après ?
Giuseppe Penone – En effet, c’est la troisième fois que je viens à La Tourette parce que je suis déjà venu, une première fois, il y a plusieurs années, sollicité par vous, pour voir l’espace avec Bernard, votre frère, mais je n’avais rien fait. C’est un lieu difficile. Toujours sollicité par vous, je suis revenu une deuxième fois, et j’ai pensé que ça pourrait être une bonne expérience pour les étudiants de l’École des Beaux-Arts de Paris, là où j’enseignais dans ces années-là, de faire quelque chose dans ce lieu. Les élèves sont venus au couvent et ils sont restés quelques jours. Ils ont repéré des endroits où ils pourraient installer ou faire des œuvres en relation avec le lieu. Ils sont rentrés à Paris, ils ont réalisé les œuvres et ensuite ils les ont installées. Pour eux, ce fut un moment extraordinaire, bien sûr, parce que ça leur a permis de ne pas seulement imaginer des œuvres, mais de les situer aussi dans un contexte privilégié pour l’art.
FM – Maintenant, c’est vous qui êtes invité ! Vous allez créer des œuvres dans le couvent et les exposer. Le couvent a la spécificité d’avoir été construit par Le Corbusier et d’être habité par une communauté d’une dizaine de frères dominicains. Que représente pour vous le fait d’exposer dans un couvent où vit, travaille et prie une communauté religieuse ?
GP – C’est une expérience unique. Comme je disais, j’avais connu le couvent et l’architecture du lieu surtout dans d’autres circonstances. En ce qui concerne l’architecture, il y avait quelque chose qui me frappait et je ne me sentais pas très à l’aise avec elle parce que c’est une architecture qui est conçue sur une idée de rapport avec la nature méditative. C’est-à-dire qu’on voit le paysage par le couvent, mais on ne rentre pas dans la nature. Le couvent est comme un corps fermé sur lui-même qui voit à l’extérieur mais dont toute la vie se déroule à l’intérieur.
L’idée qu’il n’y avait pas la possibilité d’ouvrir les fenêtres, ou très peu de possibilités de se mettre en rapport avec l’espace extérieur, c’étaient des aspects qui créaient des petites tensions par rapport à l’espace. Mais le fait qu’il y avait cette vie et des gens qui travaillaient à l’intérieur d’un lieu comme celui-là, un lieu de méditation, un lieu pour l’esprit, pour la prière et pour le rapport avec le sublime, c’était quelque chose qui m’intéressait. Mettre à disposition un espace où il y a cette sorte d’activité, c’est un geste de très grande générosité de la part des frères du couvent par rapport aux gens qui peuvent le visiter et par rapport à l’artiste qui peut faire quelque chose à l’intérieur.
Ces réflexions m’ont amené à choisir des œuvres qui puissent dialoguer dans l’espace, et surtout soient en relation avec l’iconographie chrétienne. Celle-ci, bien qu’elle ne soit pas présente dans le couvent, qui est un espace très sobre, se trouve toutefois dans l’imaginaire des visiteurs. Je suis italien et l’Italie est un pays catholique ; même si on n’est pas croyants, on est également influencés par l’iconographie de la religion qui se base sur la nature du lieu et sur l’histoire des personnes qui y ont vécu. Nous sommes complètement immergés dans l’histoire du pays dans lequel nous naissons, où nous vivons, même si on n’y pense pas.
FM – Le fait que vos œuvres soient exposées au sein du couvent de La Tourette ne va-t-il pas induire un renouvellement de la compréhension de certaines d’entre elles ?
GP – C’est possible. C’est vrai que peu importe le lieu où on l’installe, l’œuvre entre en dialogue avec l’espace et va s’enrichir des sensations que l’on a dans l’espace. La réaction face à cette œuvre sera différente si elle se trouve dans un espace sombre ou dans un espace lumineux. Ça, c’est seulement basé sur un changement de l’intensité de la lumière. Mais, à La Tourette, il n’y a pas que la lumière. Il y a l’ensemble de sensations, qui reflètent l’architecture du couvent, sa rigueur, et la spiritualité qu’elle dégage. Tout ça fait aussi que les œuvres procurent des émotions différentes par rapport à des lieux d’exposition traditionnels comme un musée ou une galerie.
FM – Pensons par exemple aux deux œuvres, A occhi chiusi (Les Yeux fermés), que vous prévoyez d’installer dans le réfectoire – qui ont été exposées à de nombreuses reprises dans des espaces institutionnels –, et également aux quatre pièces Avvolgere la terra (Envelopper la terre). À La Tourette, ne vont-elles pas s’enrichir d’une compréhension différente ?
GP – L’intention est d’installer une œuvre qui a un lien avec les mains, avec des gestes très simples, humbles et ordinaires, avec des objets qui sont posés sur une table en bois. Un dialogue avec la fonction du lieu va se créer, un lieu où les personnes mangent, mais qui n’est pas un restaurant, c’est une autre chose. Et cet esprit-là, je crois qu’on peut le retrouver dans plusieurs espaces. J’espère que ce sera vraiment la ligne qui permet de suivre l’œuvre et de la voir avec un regard nouveau, avec un regard inattendu.
FM – Je pense également à Albero in torsione sinistra (Arbre en torsion à gauche) qui sera déposé au centre de l’église, poutre dans laquelle vous révélez la présence de l’arbre. Nous, les frères, pouvons y percevoir des correspondances entre la poutre – la poutre de la croix – et l’arbre comme l’Arbre de vie.
GP – C’est une œuvre que j’ai faite dans les années 1980. C’était une poutre de toiture, imposante, de huit mètres de long, dans laquelle j’ai retrouvé la forme de l’arbre. Comme elle faisait partie d’une charpente, elle avait les traces de sa fonction dans sa matière, des clous. Tout ça a enrichi l’œuvre d’une signification différente par rapport à d’autres œuvres similaires que j’ai faites – toujours en retrouvant l’arbre à l’intérieur d’une poutre. Posée dans l’église, elle devient un objet qui va probablement s’enrichir d’un aspect symbolique – or ce n’était pas l’intention de l’œuvre –, et offrir une nouvelle possibilité de lecture.
FM – Oui, parce que dans l’église, l’œuvre sera installée dans la nef, dans une position centrale, entre les stalles et l’autel, position très symbolique pour la liturgie.
GP – Un espace qui a une fonction de méditation et de prière que d’autres n’ont pas. Les gens vont observer avec plus d’attention et avec un regard différent sur l’œuvre.
FM – Vous allez exposer des œuvres déjà créées, et d’autres que vous venez de créer spécialement pour le couvent. Je pense à votre œuvre Missel dominicain de La Tourette qui sera accrochée dans la salle du chapitre. Cette salle est importante pour nous, car nous l’utilisons la moitié de l’année comme chapelle. Pour réaliser cette œuvre, vous avez choisi un livre parmi nos livres liturgiques. Pouvez-vous nous expliquer votre intérêt pour les livres dans vos travaux récents ? Je pense aux grandes toiles exposées l’hiver dernier à la Bibliothèque nationale de France.
GP – Une grande partie de l’activité de la vie religieuse du couvent est basée sur la lecture et sur la récitation. La lecture se fait dans des livres, qui sont essentiels pour la liturgie, et qui sont utilisés à plusieurs reprises dans la journée. Le livre n’est pas seulement un objet où il y a les mots et les prières, mais c’est aussi un outil que l’on prend dans les mains, que l’on touche. Il y a une beauté déjà du livre même, dans les reliures, dans la qualité des feuilles de papier, dans toutes ses parties qui entrent en rapport avec le corps de celui qui lit. Quand on prend un livre dans ses mains et que l’on ouvre ses pages, on laisse des empreintes. Ces empreintes s’impriment sur le livre ; et des parties de la couleur du livre se déposent sur la main qui l’ouvre. J’ai couvert une toile, de dimensions sept fois plus grandes que le livre ouvert, avec des empreintes de mes doigts trempés de la même couleur que celle de la couverture du livre. La forme ovale des empreintes rappelle celle des feuilles. Les feuilles absorbent le gaz carbonique de notre respiration, de nos mots, aussi ceux de la lecture du livre. L’œuvre est un paysage d’empreintes de feuilles qui évoquent les mots.
FM – Le livre que vous avez choisi dans la bibliothèque est un livre liturgique que nous avons beaucoup utilisé.
GP – Oui. Vous m’avez envoyé les photos de trois livres, et j’ai choisi le plus simple, celui qui avait la dimension qui me paraît juste par rapport au travail, et qui m’a permis de faire une œuvre qui fait trois mètres sur deux.
FM – Vous êtes très attentif à l’architecture du couvent et à ses différents murs en béton brut de décoffrage. Beaucoup d’architectes qui passent au couvent évoquent « la peau » du béton. Cette notion de « peau » du béton ne peut que vous toucher puisqu’elle est au cœur de votre travail. Pourriez-vous développer ce point ?
GP – Tout le béton qui a été travaillé ici a été fait à partir de planches de bois assemblées pour faire le coffrage du béton. Le Corbusier a gardé son aspect brut avec toutes les empreintes de chaque morceau de bois. Ça donne une vie, une vibration aux murs. C’est comme une boiserie minérale. Chaque morceau de bois renferme la forme de l’arbre qui l’a créé. La multitude de planches qui a renfermé et enveloppé la structure de ciment évoque une infinité d’individus, qui sont les arbres d’une forêt. Ça m’a donné l’idée de regarder l’ensemble de l’architecture d’une façon naturaliste, descriptive de la nature. Quelque chose que l’on peut penser très loin de la pensée de Le Corbusier. Mais en même temps, je pense qu’il y a beaucoup de points qui peuvent motiver ma pensée.
Le bâtiment est détaché du sol par les piliers et a une forme que l’on pourrait comparer à ce que l’on voit dans un rassemblement d’arbres alignés avec leurs feuillages. Il y a les troncs comme piliers, il y a la structure des branches comme poutres, et puis il y a les feuilles à l’extérieur. En effet, toute la structure qui soutient les étages du couvent peut ressembler aux paliers des arbres, et ses colonnes ressembler à des troncs. Les feuilles sont présentes dans le bâtiment, dans tous les parapets des cellules, dans la partie haute où des petites pierres sont encastrées dans les parapets. Ça donne une vibration à la lumière qui est comparable à celle des feuilles des arbres. II y a les feuilles, il y a le sommet, et il y a aussi les racines qu’on peut retrouver dans la crypte de l’église qui est la seule partie du couvent – comme vous me le disiez, frère Marc – en rapport avec le sol, avec la terre. On y voit d’autres cailloux, d’autres pierres ; et les interstices entre les pierres peuvent évoquer la sinuosité des racines, un enracinement. Ici, même les petites croix marquant les autels donnent l’idée de croisement. La ramification des racines par les quatre branches de la croix donne une idée de diffusion et de rayonnement, et en même temps aussi, de prise d’énergie par le sol. Tous ces éléments m’ont suggéré que dans ce lieu il y avait comme une espèce de bois sacré enfermé à l’intérieur de l’architecture. À partir de cette idée, j’ai pensé faire le frottage du bâtiment, frotter et révéler « la peau » du bâtiment, ce que le bâtiment peut donner quand on touche sa surface, et l’image du toucher de cette architecture.
J’ai fait ça en utilisant les soixante-trois couleurs que Le Corbusier avait mises au point pour ses bâtiments. J’ai fait faire des toiles de 40 centimètres sur 40 centimètres, ce qui est la dimension du carré de la méditation dans chaque loggia de cellule. À partir des soixante-trois feuilles colorées, et en reprenant le nuancier de Le Corbusier, j’ai fait le frottage des différentes parties du bâtiment en passant par la crypte, l’église, les poutres, l’enduit, et tous les éléments du bâtiment, en suivant l’idée de la structure d’un arbre.
FM – Cette diversité de couleurs dans votre œuvre est très nouvelle par rapport à l’usage habituel de couleurs plutôt naturelles comme le vert ou l’ocre.
GP – Oui, je travaille toujours avec des matériaux qui existent. Et là, je ne pense pas que ce soit quelque chose de différent. Si je réalise un frottage avec une feuille blanche ou noire, c’est la même chose que de le faire sur une feuille rouge, jaune ou verte. Ce n’est pas comme si je créais les couleurs pour faire le frottage. Je prends les couleurs qui ont été créées par la même personne qui a créé l’architecture. J’ai imaginé quelque chose de cohérent avec l’architecture. Cohérent, et tout à fait objectif, selon mon point de vue. Après, c’est vrai que j’ai associé d’autres couleurs pour rendre visible le frottage, et que j’ai fait les frottages avec des couleurs de cire. Là, il y a une interprétation, une réaction par rapport aux couleurs, mais c’est un peu comme un geste qui est fait sur la terre glaise par la main du sculpteur, et la terre a des couleurs différentes.
FM – Je reviens un peu en arrière pour que l’on comprenne que le couvent est construit dans un paysage rural avec une forêt dont on aperçoit les arbres qui entourent le couvent. Ce dialogue entre la nature et l’architecture est important. Sur les murs du couvent en béton brut de décoffrage, on trouve çà et là la trace de la nature, notamment avec les empreintes des planches de bois du coffrage. Le Corbusier y était très attaché et voulait que les planches utilisées soient en bois mal équarri. Les frottages que vous avez réalisés ne révèlent-ils pas cette esthétique de Le Corbusier ?
GP – C’est cette liberté que prend Le Corbusier, par rapport à ce qu’il faisait avant. C’est aussi l’acceptation de la matière, de ses défauts et de son caractère. Tout cela est rendu visible. Ce ne sont pas des surfaces douces au toucher, elles sont agressives. C’est quelque chose qui a un caractère très fort. Cela a enrichi le rapport avec « la peau » de l’architecture. Il révèle ce que j’ai essayé de dire avant, cette idée de bois sacré qui est dans la matière même, et dont est fait le couvent.
Au cœur de la matière architecturale, il y a la trace des arbres d’une forêt qui a produit les arbres ; et à partir des arbres les planches qui ont permis de faire les coffrages pour le béton, les murs. Pour moi, tout cela est une image. Comme c’est un couvent, c’est l’image du bois sacré. J’imagine et je crois que Le Corbusier y avait pensé.
FM – La lecture de l’architecture et la compréhension du couvent sont renouvelées, puisque celui-ci – construit sur un terrain en pente – est comme suspendu entre terre et ciel. Le Corbusier avait dit aux frères : « J’ai construit le couvent en commençant par le toit. » C’est une belle image, nous sommes effectivement entre terre et ciel. Mais en même temps, le couvent est ancré dans le sol. La crypte, qui est avec l’église l’un des endroits les plus spirituels du couvent, et dans laquelle vous avez beaucoup travaillé, est comme enracinée dans le sol. Comment vous est venu l’idée de révéler cet enracinement du couvent ?
GP – En suivant cette idée de bois sacré, j’ai pensé aux différentes parties qui forment l’arbre. C’est-à-dire les racines, le tronc, les branches, les feuilles, la canopée, la lumière qui filtre entre les arbres et devient les fenêtres du bâtiment. C’est dans ce sens que j’ai visualisé cet aspect de la structure, elle m’est devenue de plus en plus évidente dans mes différentes visites au couvent. C’est une sensation que j’ai eue dès la première fois où je suis venu. Je n’avais pas pensé à utiliser ça pour faire une œuvre, je ne sais même pas si c’est une œuvre, mais c’est une prise de conscience.
FM – Les murs grumeleux en crépi ne deviennent-ils pas pour vous des écorces ?
GP – Oui, cela devient l’écorce du tronc. On peut le voir comme des écorces, comme la surface de l’arbre.
FM – Le Corbusier accordait une grande importance à la lumière. Il disait qu’il avait construit le couvent avec deux matériaux, le béton et la lumière. Qu’en pensez-vous ?
GP – Ce sont des choses que les bons architectes doivent faire. C’est ce que fait, par exemple, Renzo Piano qui est un très grand architecte. L’idée de la lumière comme étant une matière de construction, c’est quelque chose qui a, dans sa conception même, de la spiritualité. Et dans ce cas, la brutalité du béton avec la lumière, ces deux matériaux qui sont présents de façon plus évidente, c’est une synthèse du rapport entre la matière et l’esprit, probablement même dans la pensée de Le Corbusier.
FM – La lumière est mise en scène de façon magistrale dans l’église où elle arrive par différentes ouvertures de façon mystérieuse. C’est aussi le cas dans l’oratoire. La lumière arrive par le plafond et glisse le long des murs. C’est un endroit dépouillé et spirituel. Pouvez-vous nous parler des œuvres que vous avez choisies d’exposer dans l’oratoire ?
GP – Ce sont des œuvres qui sont faites sur le vide de la matière. J’ai évidé une poutre en suivant un anneau de croissance de l’arbre. J’ai eu l’empreinte négative d’un tronc d’arbre à un certain âge, et, au fond, j’ai mis de la résine végétale. C’est une œuvre que j’ai exposée autrefois, mais elle prend une autre signification dans cet espace. L’autre œuvre est un bloc de marbre que j’ai évidé. Le bloc vide a une petite ouverture pour que l’on puisse voir, à l’intérieur, sa structure, ses veines. C’est un peu comme révéler l’intérieur de la matière. C’est aussi le principe d’un espace d’architecture.
FM – Pourriez-vous nous parler de votre approche de la sculpture en lien avec l’architecture du couvent ?
GP – Mon travail consiste à observer la matière et à révéler les formes des matériaux. C’est une indication de la forme. Dans les premières œuvres que j’ai faites, c’était un rapport direct de mon corps avec les arbres et avec la croissance des arbres. J’associais mon corps et mon existence à une autre existence qui était celle de l’arbre, celle d’une pierre, ou celle d’un autre élément, en pensant qu’ils avaient la même valeur, seulement une forme de vie différente.
En 1968, j’ai réalisé une série d’œuvres sur la croissance des arbres. Précisément, j’ai touché et approché mon corps d’un arbre en pensant que l’arbre mémoriserait le contact de l’instant avec ma présence. Pour une œuvre, j’ai pérennisé ce contact avec un moulage en acier de ma main que j’avais installé sur le tronc d’un arbre. L’arbre, dans sa croissance, avait modelé l’empreinte de ma main dans sa chair. J’ai pensé que ça pourrait être extraordinaire de retrouver le moment du premier contact, à l’intérieur de la matière de l’arbre, qui mémorise sa forme et son existence à l’intérieur de son corps, de sa structure même. En conséquence, j’ai pensé que je pourrais retrouver le moment précis de ce contact en creusant à rebours dans les anneaux de croissance de l’arbre.
J’ai révélé la forme de l’arbre à l’intérieur de la poutre qui n’était plus l’arbre, mais un produit industriel. Ce fut le premier arbre que j’ai fait en 1969 et qui m’a donné l’idée, aussi, de continuer dans ma vie à faire ce travail, de révéler les formes qui sont à l’intérieur des poutres en retrouvant la forêt dans la matière bois.
C’est la même intention qui m’a amené à réaliser le travail sur le marbre, en faisant de la sculpture à partir de ses veines. Les veines, en effet, sont des couches de matière à l’intérieur du bloc de marbre. Par la coupure du bloc, on peut les lire comme si c’étaient les veines de notre corps. C’est ainsi que j’ai créé les Anatomie, en suivant les veines du marbre.
Dans l’exposition au couvent, on aura des œuvres en marbre aussi bien au sol que sur les murs travaillés, comme une matière vivante, de la chair. L’idée de vouloir révéler quelque chose qui est dans la matière, qui est dans le lieu, m’a conduit de la même manière à réfléchir à l’architecture comme à un bois sacré, une forme existante, mais cachée, que j’ai essayé d’indiquer avec la technique du frottage.
FM – Quand nous voyons les frottages que vous avez réalisés, vous révélez une matérialité, une texture des murs. Mais ne révélez-vous pas des empreintes liées au végétal ?
GP – C’est une technique que j’ai utilisée dans mes premières œuvres. J’avais fait des frottages d’un plancher, d’une porte et d’un mur. C’est une chose qui fait partie de mon imaginaire de travail. Mais faire une œuvre basée sur une architecture, sur un seul bâtiment déjà tellement chargé d’histoire et très important aussi pour l’histoire de l’architecture comme celle du couvent de La Tourette, a été une expérience très excitante et qui m’a beaucoup motivé.
FM – Peut-on parler d’un aboutissement ?
GP – L’aboutissement d’une idée qui était présente dans mon travail, mais qui n’avait pas encore trouvé sa forme complète.
Pour aller plus loin
Cet entretien, réalisé en avril 2022 avec Penone et Frère Marc Chauveau au couvent de La Tourette, est extrait du catalogue édité spécialement à l’occasion de l’exposition. Publié aux éditions Bernard Chauveau, ce catalogue comprend des photographies des œuvres in situ, un entretien avec l’artiste et des textes d’Henry-Claude Cousseau & Didier Semin.
Exposition « Giuseppe Penone » au Couvent de La Tourette 69210 Éveux
Jusqu’au 24 décembre 2022
Contact : 04 72 19 10 90 – accueil@couventdelatourette.fr
site web du Couvent de La Tourette
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Toutes les informations pratiques sur l’exposition Penone en cliquant ici