Père Renaud Wittouck, pouvez-vous nous décrire les lieux où vit votre ministère actuel à l’aumônerie des artistes ?
Le premier lieu, c’est la chapelle.
Le second lieu, c’est RELIANCES D’ARTISTES : un espace offert par le diocèse, où nous nous rassemblons pour nos expositions, pour des conférences. C’est notre lieu de vie.
Nous exposons aussi ailleurs : l’été dernier à l’Accueil Marthe et Marie, à Lomme, ou précédemment au Centre spirituel du Hautmont, à Mouvaux.
Quelle est la vie liturgique dans la chapelle Sainte-Thérèse ?
La chapelle est évidemment, avant toute chose, un lieu de culte. C’est sa mission.
À certains moments de l’année liturgique, se tiennent d’autres célébrations. Ainsi, au début du carême, le mercredi des Cendres, la messe est habituellement présidée par l’archevêque, Mgr Laurent Ulrich, ou par son auxiliaire, Mgr Antoine Hérouard. Nous ne manquons jamais la messe de Noël, très familiale.
En 2019, nous avons instauré « le Printemps de Thérèse », en mémoire de l’inauguration et de la bénédiction de la chapelle par le cardinal Achille Liénart, le 30 mars 1958.
Enfin, nous nous fixons deux autres rendez-vous importants : les « Journées européennes du patrimoine », en septembre, avec des visites guidées tout au long du week-end, et en octobre les « Portes ouvertes des ateliers d’artistes ». Deux temps forts marqués aussi par la célébration de l’eucharistie dans la chapelle.
Ce qui nous paraît important, c’est de faire vivre les deux lieux toujours au même rythme : la chapelle et l’espace RELIANCES D’ARTISTES.
Est-ce que vous célébrez des baptêmes d’enfants et d’adultes ?
On baptise surtout les enfants des membres de l’aumônerie, ou de leurs connaissances.
En 2007, j’ai demandé à Michèle Kurtz, une artiste originaire du Limousin, de réaliser les objets nécessaires à la célébration du baptême : un bassin en céramique émaillée, un pot à eau, une ampoule de saint-chrême. Isabelle Leclercq, apparentée à la famille fondatrice, a réalisé elle aussi, en 2012, une très belle vasque baptismale en céramique.
Vous arrive-t-il de vous inspirer du lieu et de son décor dans vos homélies ?
Oui. Par exemple le grand mur vitrail de Manessier. La présence du béton, au milieu des dalles colorées, rappelle dans nos vies le mélange de la joie et de la peine, de la beauté et de la souffrance, des ténèbres et de la lumière. Je ne manque pas de le dire aux parents qui présentent leurs enfants au baptême.
La Sainte Face de Rouault me parle aussi beaucoup.
Dans ma prédication, je m’inspire enfin de ce que peuvent créer les membres de l’aumônerie, ou encore des chants liturgiques.
Célébrer le culte dans un tel espace, c’est certainement très différent de la célébration dans une chapelle ou une église ordinaires.
Utilisez-vous les vêtements liturgiques de Manessier, les objets liturgiques de C. Fjerdingstad ?
Bien sûr, ces vêtements et ces objets ont été créés pour servir, ils ont une finalité liturgique. Ils n’ont pas été conçus pour rester sous vitrine ! Quand je porte une chasuble de Manessier, les gens –c’est plus fort qu’eux– s’approchent pour voir et pour toucher. « C’est beau » : ils ont tout dit quand ils ont dit ça. Les ornements liturgiques sont de véritables œuvres d’art, mais quand ils sont portés par un prêtre pour la célébration de la messe, ils deviennent vivants, si l’on peut dire, ils s’animent, leur âme s’éveille. D’autant plus qu’ils ont été créés pour ces lieux. L’harmonie des couleurs et des formes devient palpable.
La chapelle a été classée au titre des Monuments Historiques en 2012. Est-ce que cela entraîne des obligations particulières, voire des contraintes ?
Oui, il y a des contraintes bien entendu.
Cela dit, le classement de la chapelle fait beaucoup pour sa notoriété. L’Office de tourisme de Roubaix l’a intégrée dans un circuit qui comprend aussi la Villa Cavrois. Il me semble que beaucoup de Belges sont intéressés.
Il ne s’agit pas seulement d’architecture, et l’histoire ne s’est pas arrêtée.
Qu’est-ce qui touche le cœur des personnes qui entrent dans la chapelle ?
C’est difficile à expliquer, mais d’emblée, quand on entre dans la chapelle, on est saisi par une ambiance, un climat. Pour moi, l’âme de la chapelle est romane : l’harmonie entre les couleurs, son humilité, sa modestie, – le contraire du gigantisme –, tout cela aide à l’intériorité et à la prière.
La chapelle est même un peu confidentielle : depuis la rue, on ne la voit presque pas, à cause de la haie qui borde l’enclos. Il faut passer de l’autre côté, et l’on découvre alors la chapelle et le campanile. Tout se tient dans cet espace bien délimité. Le parvis a son importance aussi : il nous prépare à entrer dans la chapelle, avec cet auvent qui le surplombe et dont les gens aiment les couleurs. On se sent invité déjà au recueillement, au silence.
Les visites guidées organisées par la municipalité de Roubaix présentent l’histoire de la chapelle, de la naissance du projet à sa construction. Ils présentent aussi les artistes qui ont été invités à y participer, leur vie, leur œuvre.
Personnellement, j’aime apporter une touche spirituelle à la visite. Je présente les lieux sous l’angle cultuel et spirituel. Cela me paraît évidemment conforme à ce qu’avaient voulu Philippe Leclercq et ceux qu’il a appelés à le rejoindre pour édifier la chapelle.
Les personnes qui entrent dans la chapelle sont immédiatement frappées par la Sainte Face de Georges Rouault, avec le regard du Christ posé sur elles. Il y a justement une histoire que j’aime raconter à propos de cette grande tapisserie. En effet, Plasse-le-Caisne qui, avec sa femme Bilou, a tissé cette toile avait du mal à rendre dans les yeux du Christ la souffrance et l’acceptation de la mort qu’il voyait approcher. Il a dû s’y reprendre à trois reprises. Enfin, il y parvint : c’était un samedi soir, à vingt heures. Or c’est ce jour-là et à cette heure-là que Rouault est mort. Précisément au moment où Plasse-le-Caisne achevait son œuvre, réussissant à exprimer la souffrance de Jésus durant sa Passion : les yeux de Jésus s’ouvraient, tandis que se fermaient ceux de Rouault.
Ce que je crois important de dire encore, c’est que le visage du Christ souffrant, à la fois tendre et miséricordieux, est au centre de la foi des chrétiens, comme il est au centre de la chapelle, et comme il était au centre de la vie de sainte Thérèse de Lisieux. Ainsi, chaque fois que j’entre dans la chapelle, je suis touché par le regard d’amour et de compassion du Christ, qui m’incite au recueillement et à la prière.
Justement, Père Wittouck, quand on entre dans la chapelle, on croise aussi immédiatement, ou presque, la statue de sainte Thérèse.
Cette statue reliquaire de Dodeigne n’a pas été immédiatement reçue par les fidèles. Elle a même pu paraître « scandaleuse » à certains au moment de sa présentation. Mais je crois que depuis, elle a su conquérir les cœurs par la pureté de sa forme. Peut-être faut-il la regarder de profil : c’est Thérèse qui prie avec nous. De plus, sa présence devient encore plus concrète grâce à la relique que renferme la statue, « ex ossibus S. Theresiae a Jesu infante. » La chapelle abrite d’ailleurs une autre relique, un cheveu de sainte Thérèse enchâssé dans le baiser de paix de C. Fjerdingstad. Ce geste de vénération des saints, qui consiste à embrasser leurs reliques, se perd aujourd’hui. Il disait notre admiration pour les grands témoins de la foi, et aussi notre désir de marcher sur leurs traces. Aujourd’hui, les fidèles honorent sainte Thérèse en déposant des fleurs à ses pieds.
Comment la chapelle parle-t-elle de la vie de sainte Thérèse ?
Elle en parle déjà avec la statue de Dodeigne : sainte Thérèse était une âme priante, qui plongeait littéralement dans le Christ. Son nom de religieuse, au Carmel, était Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face.
L’expression « la Sainte Face » nous renvoie précisément à ce moment où, sur le chemin du calvaire, Jésus a été réconforté par Véronique qui a essuyé son visage avec un linge. La tradition veut que, miraculeusement, les traits du visage du Christ se soient imprimés, en quelque sorte, sur le voile que tenait Véronique.
La vie de Thérèse se reflète aussi dans le mur vitrail de Manessier. Qu’a-t-il voulu transmettre ?
La vie au Carmel, c’est ce que Manessier a voulu représenter aussi dans le mur vitrail. Thérèse y accomplit sa vocation : accueillir l’Amour de Dieu et le faire connaître à tous. Cependant, le temps sera court : elle mourra le 30 septembre 1897.
Avec le jeu des couleurs et leur symbolique, Manessier a su rendre présentes ces dimensions de la vie de Thérèse : à droite, le blanc de l’enfance ; au centre, avec les bleus et les rouges, l’humilité du cloître et la souffrance de la maladie ; enfin, à gauche, le resplendissement de Thérèse au ciel. Elle avait dit alors : « Je ne meurs pas, j’entre dans la vie. »
Philippe Leclercq, le fondateur de la chapelle, établissait une relation très étroite entre l’art et Dieu. Comment voyez-vous vous-même les choses ?
Philippe Leclercq avait lui-même une très haute idée de ce qu’est l’art sacré. Il s’agit de trouver une représentation de Dieu qui soit le reflet de son infinie beauté, et qui aide les fidèles à remonter jusqu’à Lui.
Je partage son point de vue : l’artiste, en effet, nous aide à entrer en relation avec le Créateur.
Pour moi, l’artiste est aussi un prophète. Il sent les choses avant les autres, au risque d’être incompris. Par exemple, comme je le disais tout à l’heure, il peut aider à prendre conscience des dangers que court la terre.
Son art doit aussi être quelque chose de gratuit ; il doit le faire fructifier et le partager.
La chapelle a été inaugurée en 1958, juste avant la réforme liturgique engagée par le concile Vatican II (1962-1965). Pouvez-vous dire quels sont les aspects très modernes de la chapelle qui ont anticipé sur le renouveau ?
Hermann Baur, l’architecte de la chapelle, a effectivement accompli une œuvre novatrice, en avance sur les changements que les évêques réunis en concile à l’initiative du pape Jean XXIII ont promus.
Par exemple, l’autel est placé à une certaine distance du mur, de telle manière que l’on peut en faire le tour, et donc célébrer face au peuple rassemblé. Bien que les fidèles ne puissent pas se réunir autour de l’autel et former une assemblée vraiment enveloppante, néanmoins les bancs sont disposés en V sur un plan légèrement incliné, de sorte que tous sont orientés vers l’autel, qui est le centre vers lequel converge toute leur attention. Ainsi, la proximité qui existe entre les fidèles et le célébrant crée une ambiance très familiale et facilite la bonne participation de tous. C’était l’une des recommandations principales des Pères du concile : que les gens ne soient pas de simples spectateurs étrangers à l’action liturgique et muets !
En fait, c’est la chapelle tout entière, avec tout ce qu’elle contient, qui parle au cœur des fidèles.
Oui. Comme je l’ai dit tout à l’heure, le visage du Christ qui surplombe l’autel, c’est le visage de l’Amour qui pardonne. Le mur de lumière nous parle aussi du chemin de la foi, qui nous fait passer par ombres et lumières, épreuves et joies.
Connaissez-vous d’autres lieux qui permettent une semblable harmonie entre art et foi ?
Ces lieux, vous les connaissez comme moi.
Je commencerai par l’église Sainte-Radegonde à Talmont-sur-Gironde, joyau de l’art roman, qui invite si naturellement à la contemplation.
Non loin de Talmont, Notre-Dame de Royan, inaugurée en 1958, la même année que la chapelle Sainte-Thérèse, mais évidemment très différente – les Royannais l’appellent « la cathédrale ».
Je pense aussi à Notre-Dame-du-Haut, à Ronchamp, lieu de pèlerinage, avec son monastère attenant. Avec des amis artistes, lors d’un temps de retraite spirituelle, j’ai pu revêtir une chasuble de Le Corbusier pour dire la messe. Le contraste est fort entre la chapelle Sainte-Thérèse et Ronchamp qui m’a paru gigantesque !
Je pense encore à la chapelle du Rosaire de Matisse, à Vence, à sa blancheur, à l’extraordinaire clarté qui y règne. On est dans un autre univers qu’à Hem, où les couleurs foisonnent et où la lumière est plus tamisée.
Enfin, je cite Notre-Dame-de-Toute-Grâce, sur le plateau d’Assy, en Savoie. Georges Rouault sera le premier artiste à y participer, en donnant des vitraux sur le thème du Christ et de l’homme souffrant. Quand on pense qu’à Hem, il a pour ainsi dire achevé son parcours en nous donnant ce même Christ, la Sainte Face de Jésus.
Philippe Leclercq avait voulu une chapelle simple, discrète, humble, dans l’esprit de l’architecture romane. Qu’est-ce que cela révèle de la foi de sainte Thérèse ? Et de la foi de Philippe Leclercq ?
Philippe Leclercq a voulu faire travailler des artistes qui n’étaient pas forcément les plus connus à son époque. Mais il était persuadé de pouvoir construire avec eux une maison pour Dieu : rien ne serait trop beau pour Dieu. Comme sainte Jeanne d’Arc qu’il citait volontiers, il voulait que Dieu fût le « premier servi » : avec toute l’équipe des artistes, avec les donateurs, il s’agissait seulement de travailler pour la gloire de Dieu, en édifiant un lieu de culte unique, à la fois beau et simple. Cette œuvre, Philippe Leclercq a voulu la remettre finalement au diocèse de Lille, un magnifique cadeau, qui dit à la fois sa générosité et son attachement à l’Église, comme son désir de partager sa foi, de la transmettre en ouvrant les cœurs à la beauté qui nous parle de Dieu.
La chapelle s’accorde également à la foi de sainte Thérèse. J’ai évoqué les éléments du décor de Manessier qui illustrent la vie de Thérèse. La simplicité des lieux concorde bien aussi avec la simplicité du cœur de Thérèse, son humilité : dans sa relation avec Dieu, elle suivait une voie qui consistait seulement à faire confiance en lui, comme un enfant fait confiance à son père, et à tout faire seulement par amour.
On sent bien, à vous écouter, P. Renaud Wittouck, combien la chapelle Sainte-Thérèse vous tient à cœur.
Je suis évidemment très heureux d’être ici, en tant que prêtre, pour servir la chapelle, mais aussi en tant qu’artiste. Un jour, Michael Lonsdale m’a dit : « une aumônerie des artistes, c’est comme un jardin secret. » L’aumônerie n’est pas d’abord un lieu pour faire parler de nous. C’est un lieu où nous pouvons parler de notre vie, de notre foi et de notre art.
Pour conclure, y a-t-il une saison qui vous touche le plus ici ?
Le 21 juin dernier, lors d’une réunion d’aumônerie, nous sommes allés dans la chapelle. Le mur nord était éclairé d’une manière différente : on a vu plein de couleurs qu’on ne voit pas habituellement.
L’hiver, quand il fait très froid et qu’il y a un rayon de soleil, le mur sud est splendide.
Chaque visite dans la chapelle est l’occasion d’une révélation nouvelle.
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