Cette commande publique s’inscrit à la suite de nombreux projets initiés par le ministère de la Culture depuis le début des années 1980 dont la principale particularité est de favoriser l’art contemporain dans les édifices patrimoniaux. Ainsi, pouvons-nous citer les exemples les plus emblématiques de cette politique culturelle comme celui de Soulages à l’abbaye de Conques, Rabinowitch à la cathédrale de Digne-les-Bains, Morris à Maguelone, Dibbets à Blois ou encore Viallat, Rouan, Honegger et Alberola à Nevers et plus récemment Knoebel à Reims.
Les artistes qui répondent à ces projets dans des lieux « sacrés », en relèvent les multiples enjeux allant du contexte particulier de la commande à la capacité à projeter leur œuvre dans un édifice historique et consacré ou à la confrontation à une technique qu’ils n’ont jamais, dans la majorité des cas, exploitée.
Histoire d’un concours
Monument phare de la ville d’Harfleur (Seine-Maritime), l’église Saint-Martin date du XVe siècle. Les vitraux du XIXe siècle signés par le maître verrier Drouin établi à Rouen, ont été en grande majorité soufflés par l’explosion de l’usine de munition en 1915, et pour ceux qui avaient été sauvés, ils ont été détériorés en 1942 durant la Seconde Guerre mondiale.
En 2006, la ville et la Direction Régionale des Affaires Culturelles de Haute-Normandie en partenariat avec le diocèse du Havre, ont initié un concours pour la création des quinze vitraux, soit une superficie de 280 m², avec le parti pris d’une écriture plastique contemporaine. Une cinquantaine d’artistes ont répondu à l’appel d’offre, et quatre d’entre eux ont été retenus pour soumettre un avant-projet : Cécile Bart, Yan Pei-Ming, Jean-Michel Othoniel et Bernard Piffaretti. Les responsables ont ainsi opté pour une sélection artistique éclectique qui répondait aux critères principaux de leur notoriété et de la reconnaissance de leurs travaux mais également à la condition qu’ils n’aient jamais conçu de vitraux. Des quatre propositions, celles du sculpteur Jean-Michel Othoniel et du peintre Bernard Piffaretti ont été mises en concurrence pour le stade final avec la réalisation in situ de la moitié d’un vitrail pour chacun. Il faut noter le caractère exceptionnel des exécutions des baies d’essai qui sans nul doute a permis au jury de mieux mesurer les qualités intrinsèques des projets intégrés dans l’espace.
La nouvelle lumière d’Harfleur
La peinture de Bernard Piffaretti (1955, Saint-Etienne) tient d’un protocole établi dans les années 1970 et fixé en 1986. Son premier geste consiste à diviser la surface de la toile par un épais trait pour ensuite peindre un motif sur une première moitié du tableau qui sera dupliqué sur la seconde. Ce système plastique résonne de fait avec la thématique du programme iconographique : le Partage.
L’édifice, étant placé sous le patronage de saint Martin, l’évocation de la charité était pour les responsables de la commande l’occasion d’aborder un sujet essentiel de leurs valeurs dans une société où l’acceptation de la différence reste un enjeu fondamental.
Ce projet n’est pas une transposition de son travail de peintre, tient à préciser Bernard Piffaretti, même s’il en découle dans une certaine mesure. Ainsi, pour ses premiers vitraux, il a voulu concentrer ses préoccupations sur la lumière et c’est à partir de sa réflexion sur les couleurs primaires qu’il a construit son propos : une déambulation où la couleur devient de plus en plus intense à mesure que l’on se rapproche du chœur. Le rouge, symbole du manteau de saint Martin, est le point d’orgue de l’ensemble. Chaque fenêtre joue de variations chromatiques avec des fragmentations qui rythment chaque composition mais constitue l’unité par l’harmonie subtile et délicate de chaque couleur. De cette façon, comme le rappelle le peintre : « l’émotion individuelle se transpose en émotion universelle. (…) Toutes les couleurs entrent en « partage » les unes avec les autres dans un renouvellement en constante mutation, faisant des vitraux de l’église de Saint-Martin d’Harfleur une œuvre intemporelle et ouverte à tous. »
Bernard Piffaretti a imaginé des rapports formels et spatiaux qui dialoguent avec pertinence avec l’esprit du lieu l’inscrivant pleinement dans le XXIe siècle.
Christine Blanchet
Docteur en Histoire de l’Art, Membre du Comité Artistique de Narthex.fr
Juin 2012