L’auteur en est Pascal Convert, dont le Monument à la mémoire des résistants et otages fusillés du Mont Valérien compte parmi les commandes commémoratives les plus réussies, dont on connait aussi la Pieta du Kosovo et la Madone de Benthala (Mudam, Luxembourg), sculptures de cire tirées de photographies de presse devenues icônes de notre tragique quotidien. « On ne laisse pas, aux images, expliquait l’artiste à Georges Didi-Huberman en 1999, le temps de nous parler, de nous dire ce qu’elles ont à nous dire. Parfois les images bégaient. Impatients, nous croyons avoir compris et nous leur coupons la parole avant même d’avoir fini de les écouter ».
Écoutons donc ces images qui bégaient. D’où viennent ces visages? D’où nous regardent-ils de leurs yeux irrémédiablement baissés? Dans la transparence de ces vitraux-sculptures se cache le mystère de la longue odyssée d’une réalisation complexe, en multiples étapes. Ces figures proviennent de photographies de Désiré Bourneville (1859-1909), médecin aliéniste assistant de Charcot, que Convert a découvert dans le livre cardinal de Georges Didi-Hiberman Inventer l’hystérie (1982), puis dans les ouvrages de Bourneville lui-même. Après avoir modifié ces visages, fermé les yeux des enfants ou relevé leurs visages baissés, Pascal Convert les fait transformer en bas-reliefs de plâtre par le sculpteur Klaus Velte. Puis le verrier, Olivier Juteau, transforme la sculpture de plâtre en une dalle de cristal qui porte en creux l’empreinte en contre-relief de ces figures.
Et le corps se dresse ainsi en transparence de lumière, après cette série de transmutations qui métamorphosent la photographie scientifique d’un individu soumis à diagnostic médical en un portrait énigmatique et puissant.
Ces visages, ces enfants, sont les frères de ceux qui étaient autrefois soignés dans l’hospice contigu à l’abbatiale ou venaient depuis des siècles implorer saint Gildas le sage qui avait la réputation de soigner les malades mentaux. Ces pèlerins, ces malades existent dans la mémoire des pierres, ils appartiennent à l’histoire de ces lieux, de ceux qui y ont vécu, travaillé, prié.
Et je comprends le très bel hommage que leur rend Pascal Convert comme une manière de faire se lever dans l’espace ces figures blessées, souffrantes, parfois déshumanisées par le regard médical ou scientifique qu’on a pu jeter sur elles, mais qui ne demandent qu’à être accueillies et regardées avec compassion.
Cette réalisation mérite une notoriété dont elle a trop peu bénéficiée depuis son achèvement en 2009 ; dans le silence, elle nous parle, de nos blessures, de nos brisures, de l’être humain qui se dresse pour vivre, de ce presque rien qui nous fait tenir debout, cet obscur désir de vivre et de prendre soin les uns des autres.
Paul-Louis Rinuy
A lire sur ce sujet le très beau livre de Philippe Dagen, Pascal Convert. Abbaye de Saint-Gildas-des-Bois, Paris, éditions du Patrimoine, Centre des monuments nationaux.