Le vitrail de la Sagesse de Salomon est l’un des œuvres-phares de l’exposition du Louvre « François Ier et l’art des Pays-Bas ». Réalisée en 1531 par le peintre verrier Jean Chastellain d’après un carton de Noël Bellemare, cette verrière constitue l’apogée du maniérisme anversois à Paris, un courant incarné par le peintre Jan de Beer et ses élèves installés en France. La production issue de ce mouvement mêle à l’iconographie religieuse traditionnelle un imaginaire aux accents (parfois) fantastiques. Dans des compositions où les personnages sont sans cesse en mouvement, les corps se déhanchent dans des postures contournées au sein d’un décor architecturé riche et exubérant.
En France, ce courant trouve un accueil favorable en Picardie ainsi qu’en Île-de-France : plusieurs artistes issus du cercle proche de Jan de Beer diffusent son style à la fois dans le milieu parisien et dans l’entourage royal. Certains s’illustrent dans la réalisation de cartons de vitraux : c’est le cas de Noël Bellemare, peintre anversois qui s’installe à Paris dans les années 1540 et qui y demeure jusqu’à sa mort en 1546. Il est à la fois peintre de panneaux, enlumineur juré de l’Université et fournit de nombreux cartons de vitraux et de tapisseries. Il collabore régulièrement avec le peintre verrier Jean Chastellain pour des œuvres d’exception.
Jean Chastellain est alors un peintre verrier parisien déjà reconnu : actif à Paris à Saint-Merry (1510-1515), à Saint-Germain-l’Auxerrois (1532-1533), à Saint-Étienne-du-Mont (1540-1541) et présent sur les chantiers royaux notamment à Fontainebleau. La Sagesse de Salomon peut être considérée comme son chef-d’œuvre : il fait preuve d’une grande virtuosité technique dans la réalisation de cette verrière aujourd’hui exceptionnellement conservée. En suivant le carton de Noël Bellemarre, Jean Chastellain illustre un thème peu courant : la sagesse de Salomon. Le sens de lecture du vitrail est lui aussi inhabituel ; le récit commence par l’ajour de gauche, avec le sacrifice et le songe de Gabaön (2 R 3, 4-15) où le roi apparaît jeune : dialoguant avec Yahvé, il lui demande « l’intelligence pour exercer la justice ». La scène suivante se déroule dans les lancettes et illustre le jugement de Salomon (2 R 3, 16) où il apparaît dans la force de l’âge, dans un palais aux formes à l’antique ; enfin dans l’ajour droit il est représenté en vieillard, accueillant la reine de Saba.
L’épisode mis en valeur dans les lancettes met en scène deux prostituées se rendant devant Salomon ; ayant accouché le même jour, elles revendiquent la maternité du seul enfant ayant survécu. Le roi ordonne à un soldat de couper l’enfant en deux afin que chacune en reçoive une part égale. Alors que l’une des femmes accepte la sentence, l’autre se jette aux pieds du roi en le suppliant de laisser l’enfant vivre et de le donner à sa rivale. Ainsi, Salomon démasque l’imposture de la fausse mère et rend l’enfant à celle qui supplia pour sa vie.
Noël Bellemare s’inspire ici d’un dessin de Jan de Beer, illustrant le moment où le bourreau se saisit de l’enfant, prêt à sortir l’épée de son fourreau, tandis que la mère se jette aux pieds du roi. La tension dramatique qui se dégage de la composition est mise en exergue par les postures dynamiques des personnages, et plus particulièrement le contrapposto du soldat. Les costumes et l’architecture sont sublimés par la virtuosité technique de Jean Chastellain : le peintre verrier emploie une grande gamme de verres « améliorés » ainsi que des techniques nécessitant un grand savoir-faire (verres vénitiens, verres aspergés, verres gravés à l’outil). Ces procédés, très coûteux, témoignent des moyens que le donateur a consacrés à l’élaboration de sa verrière.
En plein cœur de Paris, ce vitrail offre une tribune monumentale au maniérisme anversois qui, comme le démontre brillamment l’exposition du musée du Louvre, est un courant majeur du XVIe siècle. Cent ans après avoir échappé à l’obus de la Grosse Bertha tiré sur Saint-Gervais-Saint-Protais, ce chef-d’œuvre a quitté les baies de l’église pour l’atelier manceau Vitrail France où il a été nettoyé avant de rejoindre le Louvre.
Caroline Morizot
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