En 1991, désireuse de faire découvrir au public son patrimoine religieux, la ville de Digne-les-Bains fait construire une petite crypte archéologique afin d’y présenter des vestiges de la cathédrale Notre-Dame du Bourg, découverts lors de fouilles menées dans les années 1980. Construite entre le XIIème et le XIVème siècle, la Cathédrale Notre-Dame du Bourg est, tel que le disait Jacques Thirion, l’une « des réussites spectaculaires de l’architecture romane dans les Alpes françaises ». (1)
DROITS D’AUTEUR / CRÉDITS PHOTOS : © 2015 MUSÉE GASSENDI ET REVUE CAIRN CENTRE D’ART
Désaffectée en 1591 au profit de la Cathédrale Saint-Jérôme, elle n’a pour autant pas perdu son statut de cathédrale majeure du Diocèse de Digne-les-Bains et reste l’un des sites patrimoniaux incontournables de la région notamment grâce à son exceptionnelle taille de 50 mètre de longueur et 10 mètre de largeur. Quelques années après, afin de réaffecter l’édifice au culte, la ville et la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de la région Provence-Alpes et Côtes d’Azur (PACA) lancent une grande campagne de restauration l’ensemble de l’édifice. Dès lors, de nouveaux vitraux ainsi qu’un réaménagement liturgique complet sont commandés. Car si l’édifice présente de rares et superbes éléments architecturaux d’art roman, « il ne comporte ni mobilier, ni vitraux, seulement une rosace.» (2) Pour effectuer cette commande publique, les partenaires du projet, en concertation avec le ministère de la Culture et de la communication, décident de faire appel, à un artiste contemporain. Rapidement, le choix se porte unanimement sur David Rabinowitch.
La Cathédrale Notre-Dame du Bourg est l’une des réussites spectaculaires de l’architecture romane dans les Alpes françaises. » Jacques Thirion.
Né en 1943 à Toronto, David Rabinowitch est un passionné de littérature et textes philosophiques. Au travers de son travail artistique, il s’intéresse avant tout aux constructions, à ses manifestations ainsi qu’à la signification de leurs formes. D’abord peintre, il se tourne à partir des années 1960 vers le domaine de la sculpture au travers duquel il parvient à exprimer, sous forme de plusieurs « cycles », ses réflexions sur l’indéfini du monde. Artiste discret, il effectue de nombreux voyages en France pour y découvrir les chefs d’œuvres de l’art roman, période de l’histoire de l’art pour laquelle il se passionne et à laquelle il consacre plusieurs recherches, dont The Ottonian construction of Vison drawings en1987 et une partie des Constructions métriques 1988-1991.
Pour le réaménagement de la Cathédrale Notre-Dame du Bourg, il l’imagine avant tout comme « un acte de création unique et cohérent » (3) devant se fondre parfaitement dans l’architecture de l’édifice dans le but de produire une « lecture unifiante du bâtiment restauré ».(4) Dans un premier temps, et avec la complicité des ateliers Duchemin, tenus par les maitres-verriers Dominique Duchemin et Gilles Rousvoal, il réalise neuf vitraux pour les baies situées sur la façade sud de la nef (bras du transept et fond du chevet) de la Cathédrale. Désireux de préserver un maximum de luminosité, il conçoit ses vitraux avec des verres translucides au cœur desquels il insère une cive – disque circulaire de verre soufflé à la bouche – colorée en rouge, jaune, bleu, blanc, violet ou vert. Leur nombre, place et couleurs ne sont pas choisis par hasard et ont une signification toute particulière.
Les trois cives des vitraux situés dans le chœur sont colorées en vert, symbole de la création, la nature et la vie et du Père, en violet, symbole du Christ et du travail de hommes et jaune, symbole du l’Esprit-Saint, de la lumière et du le soleil. Ils symbolisent à eux trois la Trinité.
Au sud du chœur, un vitrail, isolé et composé de deux cives rouges rassemblées en une seule, « fait mémoire de l’Esprit-Saint descendu sur les apôtres ». (5)
Dans le transept, on retrouve deux vitraux dont un composé de quatre cives de couleur bleu, couleur mariale, symbolisant les quatre vertus cardinales et un autre avec deux cives de couleur blanche.
Enfin, les trois derniers vitraux situés dans la nef reprennent les trois couleurs de ceux dans le chœur – rouge, jaune et vert – et prolongent ainsi le propos sur la Trinité amorcé par ceux situés dans le chœur.
Dans un second temps, la création de plusieurs éléments mobiliers et objets liturgiques ainsi que douze incrustations symboliques en bronze au sol viennent compléter ce premier axe de réflexion constitué par les vitraux. Composé entres autres d’un autel, d’un tabernacle, d’un ambon, d’une croix ainsi qu’un cathèdre réalisés dans des matériaux proches de ceux utilisés pour l’architecture de l’édifice, le réaménagement liturgique a été pensé comme une œuvre d’art totale.
Une série de douze incrustations, évoquant des symboles de l’Ancien et du Nouveau testament tels que la vigne, l’agneau, le Berger, orne le sol de l’allée centrale de la nef et des branches du transept. Deux lectures peuvent être faite de ce cheminement : l’une porte sur le message biblique et évangélique travers de symboles géométriques, tels que des spirales et des polygones de 4 à 8 côtés, eux-mêmes « légendés » d’inscriptions en hébreu, latin, grec et français ; l’autre se réfère à la vie éternelle et au passage sur terre du fils de Dieu.
Enfin, une tapisserie, tissée avec du fil d’or et selon les méthodes traditionnelles du XVIIème siècle, orne le mur du transept nord. Elle constitue le point d’orgue de ce réaménagement liturgique en symbolisant le trône de Dieu et en représentant différentes formes carrées, rondes ou en croix, toutes disséminées dans les autres œuvres.
Droits d’auteur / crédits photos : © 2015 Musée Gassendi et Revue Cairn centre d’art
La restauration de la cathédrale Notre-Dame du Bourg, à Digne-les-Bains est sans conteste l’une des plus impressionnantes et des plus abouties en matière d’architecture sacrée. Elle est le fruit d’une véritable réflexion menée sur la cathédrale comme lieu de culte mais aussi comme lieu patrimonial. Son auteur, David Rabinowitch, a su s’imprégner des éléments architecturaux déjà présents afin de les faire harmonieusement dialoguer avec ses créations contemporaines et le résultat est, encore aujourd’hui, toujours aussi saisissant.
Cécile Corne, médiatrice culturelle
Pour aller plus loin…
Pour tous ceux qui souhaitent approfondir cet article, l’ouvrage d’Alfred Pacquement et de Jean-Michel Phéline propose de revenir sur toutes les étapes de cette commande publique. Un passionnant témoignage des maitres-verriers est également à découvrir dans ce petit ouvrage richement illustré et commenté.
PACQUEMENT Alfred, PHELINE Jean-Michel, Rabinowicth à Digne-les-Bains, Éditions Ereme, 2004.
Des visites de la cathédrale Notre-Dame du Bourg et de Saint- Jérôme sont également organisées par l’office du tourisme de Digne-les-Bains. Pour plus de renseignements, ne manquer pas de consulter le site de l’office du tourisme en cliquant sur le lien suivant : Office du tourisme de Digne-les-Bains.
(1)Chroniques art sacré n°47, p.21
(2)PACQUEMENT Alfred, introduction in PHELINE Jean-Michel, PACQUEMENT Alfred, Rabinowicth à Digne-les-Bains, Éditions Ereme, 2004, p.16
(3) PHELINE Jean-Michel, in op.cit., p.33
(4)Ibid., p.33
(5) Ibid., p.48