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Les musiciens chantent le credo

Depuis 1700 ans, les chrétiens professent leur foi en Dieu avec le texte du Credo dit de Nicée-Constantinople, texte fixé au cours de ce Concile. Depuis, les musiciens se sont approprié le Credo et ont proposé des musiques tout au long des âges : la foi chrétienne demeure dans son contenu, son expression évolue au gré des sensibilités. Voici comment Mozart s’est emparé du Credo et nous en livre deux proclamations, proches l’une de l’autre mais pas identiques.
Publié le 22 avril 2025
Écrit par Emmanuel Bellanger

Traditionnellement le texte du Credo s’articule autour des trois personnes de la Trinité, le Père, le Fils et le Saint-Esprit. La nature du Credo est d’abord théologique : il s’agit de proclamer le contenu de la foi au Dieu-Trinité et à son Eglise. Présenté ainsi, ce texte essentiellement dogmatique ne semble pas destiné à inspirer un compositeur : on est davantage dans une démarche intellectuelle que dans une démarche artistique. Pourtant la foi chrétienne ne se définit pas uniquement comme une adhésion mentale mais bien comme une expérience vive de rencontre avec un Dieu vivant. Abordé de cette façon, le Credo devient source de création qui donne à respirer, à chanter ce qui n’est pas seulement un réservoir de mots.
D’autre part, les modes, les cultures, les goûts de chaque époque marquent toute création artistique de leur emprunte : par exemple, la forme du Credo chez Mozart comme chez beaucoup de ses contemporains (Haydn par exemple) s’articule autour des trois mouvements d’une symphonie : vif, lent, vif
Ainsi ce ne sont plus les trois parties autour des trois Personnes de la Trinité qui organisent le chant mais une approche plus « expérientielle » de la foi : celle d’un Dieu qui s’est donné à voir et à entendre, en conséquence un Dieu que l’on est en droit de chanter.

La « Messe de l’Orphelinat » (Waisenhaus-Messe) KV 139 fut créée en 1768 pour la consécration d’une chapelle dédiée à la Nativité de Notre-Dame dans cet établissement viennois. Il est probable que le jeune compositeur de 12 ans, même s’il était exceptionnellement précoce, a été aidé. Cela n’enlève rien à la qualité de cette première d’une longue série de messes du musicien. 

Le Credo s’articule en trois grandes parties :
1° Une première partie allegro qui chante de manière un peu impersonnelle la foi en Dieu le Père, créateur du ciel et de la terre, tout cela sur une musique un peu mécanique unifiée par une gamme descendante des cordes omniprésente quels que soient les mots. Soudain arrive une surprise : l’orchestre disparaît pour laisser à nu les mots « descendit de caelo – il descendit du ciel ». Voilà que Dieu m’intéresse, semble chanter Mozart : il vient vers moi. Une respiration cadentielle de l’orchestre marque une pause.
2° Le chœur laisse la place aux solistes (soprane et alto) pour chanter « et incarnatus est » sur un rythme ternaire dans le ton pastoral de Fa Majeur. 

Après une cadence apaisée, Mozart passe en ut mineur, ton du drame (le choix des tonalités n’est jamais neutre chez lui) pour évoquer le Mystère de la Croix : une marche funèbre ponctuée par les trombones nous conduit jusqu’au silence du tombeau.
3° Le troisième mouvement allegro est lancé par la voix de soprane sur « et resurrexit » dans une longue vocalise ascendante, mot repris par le chœur.
Ce mouvement est interrompu par un andante à la gloire du Saint-Esprit chanté par le ténor solo avant la reprise jusqu’à la fin de l’allegro. Une fugue conclue traditionnellement sur les mots « et vitam venturi saeculi » traduisant la « vie éternelle ». On n’est plus ici dans la description mais dans l’évocation d’une réalité à laquelle Mozart croit mais qu’il ne peut imaginer.

On retrouve exactement les mêmes caractères dans cette « Messe du Couronnement » KV 317 qui date de 1778. Cette messe fut écrite, dit-on, à l’occasion du couronnement d’une statue de la Vierge Marie vénérée non loin de Salzbourg. Il s’agit ici d’une messe solennelle pour grand orchestre avec cordes, bois, cuivres, percussions, solistes et chœur. Le découpage en trois grands mouvements est le même que celui de la messe de l’Orphelinat. Les caractères de chaque mouvement sont encore plus affirmés. 

1° Le chant du premier mouvement allegro molto est des plus impersonnels : il commence sur une seule note ; comme une psalmodie qu’accompagne l’orchestre par une coulée de double-croches continues agrémentées de sonneries de quintes ascendantes bien éclatantes. Les vérités de la foi en Dieu le Père sont bien affirmées mais la personne du compositeur s’y implique-t-elle ?
2° Dans cette messe, incarnation et rédemption sont étroitement liées : la naissance du Christ, deuxième personne de la Trinité, est chantée en mineur sur la presque même musique que « crucifixus » : la douceur de la crèche se transforme en douleur de la Croix. Un même ruban mélodique aux violons, fait de quartes diminuées descendantes (intervalle instable) entretient un sentiment dramatique. Ce mouvement meurt sur « sepultus est » en une succession d’accords descendants comme une ode funèbre. On est à peine arrivé au mot « est » qu’éclate le troisième mouvement.
3° « Et resurrexit » : la joie de la résurrection éclate sur la reprise intégrale de la musique du premier mouvement. On n’est plus dans la description mais bien dans la profession de foi.

Chanter le Credo engage le chanteur : la violence de certains accents – sur DOminum, sur Jesum CHRIStum Filium DEi unigenitum – ne se justifie pas par les mots eux-mêmes mais bien par l’engagement du compositeur et du chanteur à sa suite. 
Chanter le Mystère Pascal n’est pas simple récitation mais invitation à entendre ce que les  mots ne peuvent pas exprimer. Quand on n’a plus de mots, on chante.   

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