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« Lecture littérale d’une station (1), au pied de la Croix. Quand iconographie et architecture s’épousent »

Un chemin à même la structure béton, à même la peau de l’église, incorporé. Comme un tatouage, les marques, la trace d’un récit. Cet « à même » le béton inscrivant la narration de façon intemporelle, sans autre horizon ou plutôt au sein d’un in-fini, désormais consitutif. Un éternel récit, accompli une fois pour toutes et continuant à s’accomplir dans un espace/temps en absence. Pouvant s’établir à tout instant dans le cœur de celui qui, par la vue, le recevra. 4ème station : « Jésus rencontre sa mère ». Centrale, trois à sa gauche et trois à sa droite, à la croisée du transept, à la jonction des articulations.
Publié le 18 avril 2025
©audeviotcoster

« Et la mère de Jésus était là. »(2) Jn 2, 1 

La rencontre avec sa mère ouvre aussi, à l’aplomb, l’espace architectural : la chapelle de la Vierge.  Lieu d’un engendrement plus vaste.  

« Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle ». Eph 5, 25-33 

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Moment nodal où tout se noue et se dénoue, tout se joue. La rencontre avec sa mère ouvre  littéralement : il quitte sa demeure d’adoption. Ce vide qu’il va laisser est aussi espace nouveau, en  création. Marie, figure de l’Église. La chapelle de la Vierge, ici en écho d’ouverture spatiale. 

En suivant l’horizontale de la Croix, elle se prolonge en continuité et en rupture avec la structure des  vitraux. Quelle perspective d’ouverture par le haut ! alors que le chemin de croix « nous enferme »  dans le cycle de la Passion, il offre ici soudainement une échappatoire, un in-attendu ! une performance  structurelle : le sculpté fait ce qu’il dit au moment où il s’établit, littéralement. Le Christ se livrant,  souffrant, s’offrant ouvre déjà la voie nouvelle, nous introduit ailleurs. 

« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Jn 14, 13 

La Croix est passage (et non station finale) vers la Lumière. Son prolongement dans la structure béton  vient ancrer la Croix. Elle est tenue par le Ciel, par la lumière immatérielle ! Telle une invitation à y lire le sens profond auquel elle renvoie, une logique qui n’est pas celle du monde. 

« Folie pour les Hommes, Sagesse de Dieu. » 1 Co 1, 25

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D’un côté, nous percevons l’expression « Église, ma Mère » et de l’autre, nous entendons par la vue,  cette parole en promesse du Christ : « Et moi, quand j’aurais été élevé de terre, j’attirerai à moi tous  les hommes. » Jn 12, 32

Marie, obéissante, les pieds joints. Tendant ses deux mains dans un geste d’offrande, entrouvertes. En  signe d’impuissance, comme n’y pouvant rien. Tunique et voile tendus dans une rectitude  impressionnante. Légère courbe adoucie de sa nuque remarquable, face à la raideur, la droiture des  vêtements et de leurs plis. Tout exprime la gravité, la tension du moment. 

Jésus, stable, droit. Noblesse de Celui qui se donne. Tension et torsion de son regard visible à l’aplomb,  par en-dessous. Au sein-même du figé, le choix du Christ libre et obéissant s’impose visuellement avec  force et douceur. 

« Ô Christ, tu t’avances vers ta Passion, volontaire ».
« Lui passant au milieu d’eux, allait son chemin » Lc 4, 30

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Jésus, nuque tendue, regard baissé, œil au regard droit, traits tirés. Son bras levé vers Marie, prévenant  envers sa mère et comme en protection et reconnaissance du lieu originel, des entrailles maternelles.  Lieu natif. Un geste doux, délicat dans un moment extrême. Nous entendons à nouveau et autrement :  « Femme, quoi entre toi et moi » (Jn 2,4) dans l’interpellation à Cana. Ici, en un indicible, en partage 

silencieux, sous nos yeux. 

Marie et Jésus, en tête à tête, regards en tension. C’est à l’aplomb que se donne véritablement l’expressivité du regard du Christ. Au plus haut de la douleur, dans tous les sens du terme. Deux nuques  et cous tendus à l’extrême.

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Les deux visages sont dans l’axe horizontal de la Croix, inclinés : d’un côté vers la terre et de l’autre  vers le Ciel. Une horizontale venant tout embrasser, reliant les extrémités. Une vie terrestre annonçant sa verticalité. Un moment de bascule, récapitulant en droite ligne l’horizon de son existence. De la  terre jusqu’au ciel, une horizontale qui s’érige en verticale par et dans son abaissement.

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Jésus est noué à la taille par une corde, qui le ceint (3).  

« Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu  voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour  t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Jn 21, 18 

« Non pas ma volonté mais la tienne. » Lc 22, 42 

Sa nuque, parallèle à la verticale du bois de la croix, est d’une raideur accordée. Ils ne font déjà qu’un.

En suivant la corde et la verticale, le regard se dirige droit vers un personnage, celui qui semble  s’extraire de la scène. Le geôlier, penché vers l’arrière, jambes largement écartées, bras démonstratifs,  bouche ouverte. Une des mains désigne du doigt de façon légère, moqueuse, dénonciatrice, sarcastique  (?). En reconnaissance, malgré lui. L’autre bras en arrière, poing serré tient la corde, maintenant Jésus.  Elle le rejoint mais qui tient qui ? Aucune tension palpable dans cette corde, lâche. Lien détendu. 

S’éloignant du duo Marie/Jésus, cet homme semble presque tomber ou sur le point de basculer par sa  moquerie, son doigt accusateur. Yeux et bouche grands ouverts, gestes exubérants, vêtement ample,  taille ceinte. Une désinvolture certaine qui tranche, rompt la scène. Que retient sa ceinture ?  

Folie des hommes : « Père, pardonne-leurs, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Lc 23, 34 

Tout les sépare et pourtant cela ne tient qu’à une corde les reliant sans les lier. Que passe-t-il dans ce  lien, sans vie ? l’extrémité retombe, comme inanimée. 

Douceur de la corde en vis-à-vis de la raideur de la croix. Ce lien d’amour que Jésus veut établir avec  chacun de nous. Un lien reliant au Christ comme condition de possibilité pour être sauvé, lui aussi.  Pan de la corde qui tombe en droite ligne vers le bois de la croix remontant vers le ciel en passant par  le Christ. Un chemin de vie, par des lignes lisibles. 

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En reprenant l’intégralité de la station, en demeurant au plus terre à terre, les pieds parlent d’eux mêmes et chaque personnage se livre, à ce niveau de lecture. Ceux de Marie serrés à l’extrême dans  son obéissance ; ceux du geôlier, déséquilibrés par un rôle qui le dépasse ; ceux du Christ, en posture  stable, accomplissant les Écritures. Des pieds fermes, démontrant une liberté certaine, un aplomb où  nous pouvons voir et entendre : 

« Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne. » Jn 10, 18

 

Aude VIOT COSTER

Notes

(1) 4ème station du chemin de croix : « Jésus rencontre sa mère ». Œuvre de Jean LAMBERT-RUCKI, artiste franco-polonais  (1888-1967). Église Ste Thérèse de l’Enfant-Jésus, à Boulogne-Billancourt (92), labellisée « Architecture Contemporaine Remarquable » en 2017.

(2) Référence aux Noces de Cana, inhabituelle. L’annonce du 3ème jour, tant à Cana qu’ici. Une perspective au-delà de tout  ce que nous pouvons envisager, ici-bas.

(3) En venant sur place, en parcourant les autres stations du regard, à aucun moment, la corde ne se tend, ne se raidit. Elle  révèle, au contraire, le fait que rien ne retient Jésus, si ce n’est sa volonté. Libre plus que jamais, au sein de son apparente  captivité.

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