
« Et la mère de Jésus était là. »(2) Jn 2, 1
La rencontre avec sa mère ouvre aussi, à l’aplomb, l’espace architectural : la chapelle de la Vierge. Lieu d’un engendrement plus vaste.
« Le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle ». Eph 5, 25-33

Moment nodal où tout se noue et se dénoue, tout se joue. La rencontre avec sa mère ouvre littéralement : il quitte sa demeure d’adoption. Ce vide qu’il va laisser est aussi espace nouveau, en création. Marie, figure de l’Église. La chapelle de la Vierge, ici en écho d’ouverture spatiale.
En suivant l’horizontale de la Croix, elle se prolonge en continuité et en rupture avec la structure des vitraux. Quelle perspective d’ouverture par le haut ! alors que le chemin de croix « nous enferme » dans le cycle de la Passion, il offre ici soudainement une échappatoire, un in-attendu ! une performance structurelle : le sculpté fait ce qu’il dit au moment où il s’établit, littéralement. Le Christ se livrant, souffrant, s’offrant ouvre déjà la voie nouvelle, nous introduit ailleurs.
« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. » Jn 14, 13
La Croix est passage (et non station finale) vers la Lumière. Son prolongement dans la structure béton vient ancrer la Croix. Elle est tenue par le Ciel, par la lumière immatérielle ! Telle une invitation à y lire le sens profond auquel elle renvoie, une logique qui n’est pas celle du monde.
« Folie pour les Hommes, Sagesse de Dieu. » 1 Co 1, 25

D’un côté, nous percevons l’expression « Église, ma Mère » et de l’autre, nous entendons par la vue, cette parole en promesse du Christ : « Et moi, quand j’aurais été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Jn 12, 32
Marie, obéissante, les pieds joints. Tendant ses deux mains dans un geste d’offrande, entrouvertes. En signe d’impuissance, comme n’y pouvant rien. Tunique et voile tendus dans une rectitude impressionnante. Légère courbe adoucie de sa nuque remarquable, face à la raideur, la droiture des vêtements et de leurs plis. Tout exprime la gravité, la tension du moment.
Jésus, stable, droit. Noblesse de Celui qui se donne. Tension et torsion de son regard visible à l’aplomb, par en-dessous. Au sein-même du figé, le choix du Christ libre et obéissant s’impose visuellement avec force et douceur.
« Ô Christ, tu t’avances vers ta Passion, volontaire ».
« Lui passant au milieu d’eux, allait son chemin » Lc 4, 30

Jésus, nuque tendue, regard baissé, œil au regard droit, traits tirés. Son bras levé vers Marie, prévenant envers sa mère et comme en protection et reconnaissance du lieu originel, des entrailles maternelles. Lieu natif. Un geste doux, délicat dans un moment extrême. Nous entendons à nouveau et autrement : « Femme, quoi entre toi et moi » (Jn 2,4) dans l’interpellation à Cana. Ici, en un indicible, en partage
silencieux, sous nos yeux.
Marie et Jésus, en tête à tête, regards en tension. C’est à l’aplomb que se donne véritablement l’expressivité du regard du Christ. Au plus haut de la douleur, dans tous les sens du terme. Deux nuques et cous tendus à l’extrême.

Les deux visages sont dans l’axe horizontal de la Croix, inclinés : d’un côté vers la terre et de l’autre vers le Ciel. Une horizontale venant tout embrasser, reliant les extrémités. Une vie terrestre annonçant sa verticalité. Un moment de bascule, récapitulant en droite ligne l’horizon de son existence. De la terre jusqu’au ciel, une horizontale qui s’érige en verticale par et dans son abaissement.

Jésus est noué à la taille par une corde, qui le ceint (3).
« Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t’emmener là où tu ne voudrais pas aller ». Jn 21, 18
« Non pas ma volonté mais la tienne. » Lc 22, 42
Sa nuque, parallèle à la verticale du bois de la croix, est d’une raideur accordée. Ils ne font déjà qu’un.
En suivant la corde et la verticale, le regard se dirige droit vers un personnage, celui qui semble s’extraire de la scène. Le geôlier, penché vers l’arrière, jambes largement écartées, bras démonstratifs, bouche ouverte. Une des mains désigne du doigt de façon légère, moqueuse, dénonciatrice, sarcastique (?). En reconnaissance, malgré lui. L’autre bras en arrière, poing serré tient la corde, maintenant Jésus. Elle le rejoint mais qui tient qui ? Aucune tension palpable dans cette corde, lâche. Lien détendu.
S’éloignant du duo Marie/Jésus, cet homme semble presque tomber ou sur le point de basculer par sa moquerie, son doigt accusateur. Yeux et bouche grands ouverts, gestes exubérants, vêtement ample, taille ceinte. Une désinvolture certaine qui tranche, rompt la scène. Que retient sa ceinture ?
Folie des hommes : « Père, pardonne-leurs, ils ne savent pas ce qu’ils font. » Lc 23, 34
Tout les sépare et pourtant cela ne tient qu’à une corde les reliant sans les lier. Que passe-t-il dans ce lien, sans vie ? l’extrémité retombe, comme inanimée.
Douceur de la corde en vis-à-vis de la raideur de la croix. Ce lien d’amour que Jésus veut établir avec chacun de nous. Un lien reliant au Christ comme condition de possibilité pour être sauvé, lui aussi. Pan de la corde qui tombe en droite ligne vers le bois de la croix remontant vers le ciel en passant par le Christ. Un chemin de vie, par des lignes lisibles.

En reprenant l’intégralité de la station, en demeurant au plus terre à terre, les pieds parlent d’eux mêmes et chaque personnage se livre, à ce niveau de lecture. Ceux de Marie serrés à l’extrême dans son obéissance ; ceux du geôlier, déséquilibrés par un rôle qui le dépasse ; ceux du Christ, en posture stable, accomplissant les Écritures. Des pieds fermes, démontrant une liberté certaine, un aplomb où nous pouvons voir et entendre :
« Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne. » Jn 10, 18
Aude VIOT COSTER