Il y a quelque chose de l’ordre de l’alchimie dans la composition des Rencontres de Narthex, qui donnent lieu et forme à une expérience culturelle à la fois plurielle et unique en son genre. Que ce soit pour le lancement des Rencontres au couvent de la Tourette en octobre 2022 ou pour cette 2e édition à l’abbaye de Fontevraud, tous les ingrédients de Narthex étaient réunis : la découverte d’un site patrimonial et architectural d’exception, un regard averti sur l’art sacré et/ou liturgique, une présentation ou installation d’art contemporain, pour aboutir à cette vision transversale qui allie les arts de tous les temps ainsi que l’architecture… Et cela dans une atmosphère porteuse d’échanges et de convivialité. Cette 2e édition a même été qualifiée d’« archétypale » par certains…!
L’idée des Rencontres de Narthex est née de notre souhait de ‘venir à la rencontre’ de notre lectorat, et de tous ceux qui se passionnent pour l’art, l’architecture, l’art sacré et la création contemporaine en offrant des propositions culturelles inédites, source de formation, de partage avec les professionnels du monde de l’art (conservateurs, commissaires d’exposition, artistes…) à travers des visites qui favorisent le dialogue avec les participants. Ces Rencontres visent avant tout une expérience sensible ‘sur le terrain’, corollaire des propositions éditoriales de Narthex, qui décrypte et donne des clés sur l’art, l’architecture, le patrimoine, l’art sacré et la création contemporaine.
Pour cette 2e édition, le 28 janvier dernier, le temps d’une journée bien rythmée, les Rencontres de Narthex avaient pris leurs quartiers d’hiver dans un lieu splendide : l’Abbaye de Fontevraud, dans le Maine et Loire, à quelques kilomètres de Saumur, non loin des vastes méandres lumineux de la Loire. Franchir le seuil de la grande porte de l’Abbaye est déjà la première étape de l’immersion, en pénétrant dans l’enceinte de l’une des plus vastes cités monastiques d’Europe, fondée en 1101 par Robert d’Arbrissel. Ancienne abbaye d’inspiration bénédictine, elle abrite la nécropole des Plantagenêts. À la Révolution française, elle doit cesser son activité religieuse pour être transformée en établissement pénitentiaire jusqu’en 1963. En 2000, l’abbaye de Fontevraud est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Dès notre arrivée le matin, nous avons été reçus par Anna Leicher, conservatrice des antiquités et objets d’art, et immergés dans l’univers fascinant de la paramentique (l’art de l’ornement liturgique) à travers la visite de l’exposition « Au fil du Sacré – Une mode en soie ». Grâce à Anna Leicher, commissaire de l’exposition, nous avons pu être initiés aux plus subtils détails de ces ornements liturgiques et à leur histoire, une passionnante découverte qui a captivé tous les participants.
Outre la qualité esthétique des chapes et chasubles, la richesse des dalmatiques, et l’originalité des motifs des pièces présentées, l’exposition montre de très intéressants exemples de réutilisation des étoffes exotiques du XVIIe au XXe siècles, ou de réattributions (tissus de décoration, robes, effets militaires…)
La production de chasubles au XXe siècle, d’une étonnante créativité, montre le renouveau dans la modernité de ces ornements liturgiques. Un fabuleux voyage « au fil du sacré », dont aucun des participants n’a perdu le fil !
Un délicieux déjeuner nous attendait au Petit Réfectoire de l’Abbaye, dans le cadre sobre et élégant récemment réaménagé par les architectes Jouin Manku, qui a favorisé les prises de contacts et conversations à bâtons rompus entre les participants – une bien agréable pause.
Nous avions ensuite rendez-vous en tout début d’après-midi, avec l’artiste Nicolas Alquin pour la visite de son exposition « Elle et le Chemin » dans l’église abbatiale, lumineux et élégant édifice, épicentre de la cité monastique de Fontevraud.
On y découvre une douzaine de grandes sculptures en bois de chêne chaulé massif, parfois doré à la feuille, parmi lesquelles L’Ange (suspendu au-dessus de la croisée du transept), L’Annonciation, Le Nouveau-Né, Suzanne ou le Lys, Marie-Madeleine ou la tresse… qui côtoient naturellement les gisants exposés dans l’abbatiale : Isabelle d’Angoulême et Richard Cœur de Lion, ainsi qu’Aliénor d’Aquitaine et Henri II.
Au fil de la déambulation dans l’abbatiale, Nicolas Alquin témoigne avec une grande simplicité de ses questionnements artistiques, son enracinement spirituel dans les textes bibliques, et engage volontiers le dialogue avec les participants. L’ajustement des œuvres au lieu est particulièrement frappant pour L’Ange et surtout Le Nouveau-Né – qui semble véritablement accueillir le visiteur dans le chœur de l’église.
Après avoir traversé le cloître et une partie de la cité monastique, cap sur le Musée d’Art moderne de Fontevraud, dans un bâtiment datant du XVIIIe siècle donnant sur la grande cour près de l’entrée principale. Encore tout récent, puisqu’il a été créé en 2021, le musée a pu voir le jour grâce à la donation de la collection de Léon Cligman, grand industriel du textile et mécène (disparu en 2022 à près de 102 ans) et de son épouse Martine Cligman.
Nous avons eu la chance d’être accueillis par Dominique Gagneux, directrice du Musée, qui nous a fait découvrir les collections et les espaces d’exposition en nous expliquant ce qui a guidé sa réflexion et ses choix pour mettre en valeur cet ensemble dans sa richesse et sa diversité.
L’originalité du lieu repose sur sa proposition muséographique, où les objets et antiquités du monde entier entrent en dialogue avec les œuvres des XIXe et XXe, peintures et sculptures, avec une scénographie fine et épurée signée de Constance Guisset.
On retrouve aussi bien des artistes à découvrir que de grands noms comme Toulouse-Lautrec, Degas, Vlaminck, Marquet, Kees van Dongen, Robert Delaunay, Juan Gris, André Derain, Eugène Carrère, Maurice Denis, sans oublier Bernard Buffet, ainsi qu’un ensemble hors normes de sculptures de Germaine Richier… Ou encore une merveilleuse collection de verreries modernes de Maurice Marinot (1882-1960) dans la salle voûtée de l’ancienne boulangerie.
« Le génie grec sera mieux compris par l’opposition d’une statue grecque à une statue égyptienne ou asiatique que par la connaissance de cent statues grecques », disait André Malraux, dont la citation figure sur une des cimaises du musée, donnant une des clés de compréhension principale du parti pris muséographique choisi par Dominique Gagneux, dont le résultat est purement exemplaire.
Dans son ouvrage Nos Vingt Ans, Clara Malraux évoque au sujet de ces associations l’émergence de ces « connivences nouvelles » qui les bouleversent, André Malraux et elle-même, prenant conscience intérieurement de « l’intuition d’une prise nouvelle sur l’univers ».
A Fontevraud, le « musée imaginaire » de Malraux a pris forme : nous sommes en effet bien au-delà du simple concept du musée d’art moderne ou même d’un musée pluridisciplinaire, car nous voyons se déployer une vision qui associe avec vivacité, sensibilité et intelligence les dialogues esthétiques et formels qui peuvent s’engager entre les œuvres, issues de territoires et de cultures souvent lointaines et qui apparaissent ici complémentaires, voire complices, régénérant le regard et la pensée du spectateur.
Pour conclure, il ne reste plus qu’à laisser la parole à deux de nos participants, qui nous ont livré leur ressenti de ces Rencontres de Narthex à Fontevraud :
Une journée dense et riche de découvertes qui a fait oublier le temps maussade et frais. Une approche diversifiée : sculpture religieuse contemporaine qui se prêtait bien à l’espace architectural monumental de l’abbatiale, la collection Martine et Léon Cligman installée dans une scénographie efficace, dynamique, raffinée et sobre.
Une série de rencontres qui ouvrent à des questionnements multiples et qui met l’accent sur des éléments cachés des sacristies, les ornements sacerdotaux réalisés par des « petites mains « bien oubliées » Des rencontres avec des commissaires d’exposition passionnantes et passionnées…
Pascale
Le musée d’art moderne demande une demi-journée à lui tout seul – je retiens l’option du dialogue de formes et de couleurs.
La conférence de Mme Anna Leicher, « Au fil du sacré », a été très riche ; des échanges ont pu être faits. La visite commentée par Nicolas Alquin a été très intéressante pour apporter un peu de légèreté à ces grandes masses de bois – et de poésie.
‘Le beau entraine le bon’.
Nadine
Longue vie aux Rencontres de Narthex !
Valérie de Maulmin