[Série d’été 1/4] Une œuvre signée Maupal

[Un mardi sur deux, Aude Viot Coster nous entraîne dans une lecture poétique d'une œuvre contemporaine d'art sacré grâce à une mise en mots, ouvrant notre esprit à un dialogue nouveau.] Une scène d’extérieur prise en surplomb. Un fond vert pour tout horizon. Bouché pour autant ? Une absence de ciel qui nous redirige au plus près de notre environnement : la terre. Une orientation « vertement » signifiée : un « terre-à-terre » qui nous renvoie sous un ciel plus vaste que la seule scène. Une scène terrestre qui interpelle très simplement notre rapport aux autres, au monde. Un terre-à-terre très aérien par les postures physiques. Une scène d’extérieur qui nous introduit en intériorité.
Publié le 16 juillet 2024
Maupal, 5e publication de carême, 2024 © DR

De la terre au cosmos sans passer par le ciel, une « écho-logie » intégrale, de corps comme d’esprit, spirituelle et invitant à plus vaste : une posture d’existence. Impossible de séparer le vivant ici. Terre et Homme liés, reliés. Cette fenêtre ou-verte est une invitation à revisiter notre rapport au temps, à l’espace où se vit toute relation fraternelle. Prendre le temps de célébrer. Plus rien ne compte, ni le temps chronologique, excepté cet instant comme un tout, compris dans un temps d’éternité, une attitude pour toujours et à jamais, une danse comme une louange « ex-primée ». Un Tout comme un Rien.

Une ronde très dansante, joyeuse et festive dont le centre surprend. Une célébration sobre et démonstrative à la fois : une nappe, emblématique du pique-nique, pour un festin étonnant : une assiette vide et un verre d’eau. Cinq convives pour 1 seul couvert dont le repas promet d’être plus que frugal. Si la tempérance semble bien de mise tant le vide est présent, l’état général pourrait passer pour de l’ébriété tant ils paraissent « ivres de joie ».

Le jeu des couleurs est orchestré de façon à attirer l’œil sur « l’élément nouveau » et central au sein de la composition. La nappe emblématique du repas réhaussée de rouge, symbole de la vie, de l’amour et la blancheur, la transparence des éléments du couvert pour évoquer la pureté.

À bien y regarder, les personnages pourraient et devraient tomber tant leurs postures physiques sont en déséquilibre. Cette ronde est intenable seul. C’est par tous, avec tous que l’équilibre est « mains-tenues ». Solidaires les uns des autres, leurs corps les engagent au plus haut.

« Appuyés sans appui » pour reprendre St Jean de La Croix. Habités par une légèreté qui frise l’insouciance, la folie ? Transportés. Le courant semble passer comme en décharge contagieuse.

Cinq personnes de tous âges, d’origines différentes.

Le fond vert évoque la Nature et aussi le naturel de la scène. Une invitation sans grande programmation. Un partage de dernière minute pour un moment de convivialité.

Un verre plein, de l’eau. Quelle vie possible sans eau ? pour les hommes comme pour la terre : un essentiel.

Quelle faim et quelle soif pourraient ainsi nous animer, littéralement, et nous réveiller en profondeur dans l’urgence de l’instant présent ?

« Vous tous qui avez soif, venez, voici de l’eau » Is 55, 1

Une ronde peut toujours s’agrandir et ne cesse d’incorporer des membres nouveaux. C’est au niveau de l’enfant, au premier plan pour nous regardeur, par les mains dans un léger lâcher-prise, que se pressent l’ouverture possible, l’hospitalité.

Un repas qui pourrait donc se démultiplier. Un moment de partage sans fin où chacun est invité sans condition de ressources. Un couvert, une personne, l’humanité tout entière.

Une allure générale inspirée de l’œuvre de Matisse, La Danse1 (1909), huile sur toile.
Une œuvre célébrant la danse comme un phénomène sacré.

Le pape est le personnage qui se contorsionne le plus, rendant possible cette ronde : lui le pasteur, annonçant l’Évangile par sa propre mise en œuvre, applique personnellement le message du Christ.

Il est le seul à avoir les deux pieds bien arrimés sur terre.

Scène de folie pure ? tous les autres personnages sont en total déséquilibre. Quel exercice périlleux mettant nos stabilités au défi : celui du partage, du jeûne, de la joie fraternelle et évangélique.

« Car ce qui est folie de Dieu est plus sage que les hommes » 1 Co 1,25

Mesure de l’Amour qui n’est que démesure. Une joie qui célèbre le vide, le fait d’être visiblement comblé et de pourtant demeurer les mains vides – apparemment, selon l’esprit de ce monde – mais d’être riches de ce lien qui nous ré-unit, d’avoir pour héritage cette terre et ces frères, infiniment.

Une joie qui ne semble pas s’inquiéter d’un manque apparent : un seul couvert dressé, une assiette vide, seul un verre d’eau. Un couvert à ciel ouvert ! Une invitation sans faux-semblant. Une promesse, en vérité.

La joie se lit sur les corps, la légèreté règne. Une communion à tous les niveaux.
Une ronde aux allures de cœur battant le rythme de cette danse fraternelle.
Une célébration profane du plus ordinaire, du plus spirituel, à l’œuvre, au jour le jour.
Tout est ici à portée de mains et invite à une mystique du quotidien.

« Toute conduite humaine n’est [donc] pas forcément chrétienne. Mais l’expérience chrétienne ne se fait pas à l’extérieur de ce qui nous fait humain2 ».

Voici le message associé à cette œuvre, inspirée par le message du Pape François, réalisée par Maupal3 pour la 5ème semaine du Carême 20244 et diffusée sur Instagram :

Un mouvement d’ouverture et de libération salvateur :
« Dans le mouvement de libération où nous sortons de nous-mêmes, où nous sommes suspendus à un autre, nous éprouvons toute la valeur et toute la puissance de notre existence. Dans ce regard vers l’autre, nous naissons à nous-mêmes5 ».

Nous pouvons voir ce lien organique, indissociable en super-position des encycliques Laudato Si et Fratelli Tutti mises en œuvre, mises à l’œuvre. Qui perd la terre, perd le frère.

Nous assistons ici à la ronde des « élus de la terre », de l’humanité invitée à célébrer cette joie de l’Évangile dès ici-bas, du Royaume déjà au milieu de nous.

 

— Aude Viot Coster
auteure et théologienne des arts

 

Notes

1. Ce tableau est lui-même un zoom de La joie de vivre, œuvre peinte en 1905. Célébration des corps certes mais ici en tant qu’individu, dans toute l’expression de leur être-même, de leur singularité. Ici plus d’autre perspective que la terre. C’est le Ciel sur terre. Les personnages sont habillés et non-uniformisé. Une Danse rythmée dans un cadre réduit, un zoom « imposé » pour être rivés sur les corps. Une contrainte spatiale qui renforce l’élément à remarquer, remarquable. Les corps et l’élément central.

2. Henri BOURGEOIS, « La Foi naît dans le corps », La Maison-Dieu, n°146, 1981, p. 67.

3. Mauro PALLOTTA, alias MAUPAL, est né à Rome en 1972. Les lieux de l’enfance et de l’adolescence de l’artiste ont sans aucun doute influencé le contenu de ses œuvres : la proximité des lieux de la politique et du Vatican, et avec elle les stimuli intellectuels d’une ville multiculturelle comme Rome, ont permis d’enrichir sa sensibilité d’une propension décisive et naturelle à utiliser l’ironie et la satire politique comme vecteurs d’expression artistique, faisant de ses œuvres des annonciateurs de messages à forte pertinence sociale et humanitaire.
Maupal

4. Le dicastère pour le Développement Humain Intégral publie une nouvelle illustration du célèbre artiste de rue Maupal, dont les images accompagneront les paroles du Pape tout au long de l’itinéraire du Carême 2024.
Un artiste urbain illustre le message de Carême du Pape – Vatican News

5. Maurice ZUNDEL, « Le Miroir ». Le miroir (Maurice Zundel) – Prie en Chemin

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