Rembrandt (1606-1669) ne fait pas partie de ces artistes maudits. De son vivant, il fut très vite célèbre, respecté et reconnu. C’est une succession de deuils qui l’entraine vers la faillite et le déclin social. Ne cessant jamais de créer, ces circonstances dramatiques ont évidemment prise sur son art. Mais elle se traduit par une quête incessante de représentation des émotions de l’être humain.
Chacun des trois tableaux achetés par Edouard André et Nélie Jacquemart, [- Le Repas des pèlerins d’Emmaüs (1629), le Portrait de la princesse Amalia van Solms (1632) et le Portrait du Docteur Arnold Tholinx (1656)] -, illustrent une époque différente et fondamentale de la création de Rembrandt. Depuis ses premières années au succès fulgurant, jusqu’à ses années de maturité artistique.
Ces trois œuvres résument à elles-seules la recherche esthétique de Rembrandt : une peinture du réel qui porte le regard au-delà de ce qui est visible.
En effet, son style évolue rapidement vers une peinture intimiste où la lumière divulgue tout le mystère de l’âme humaine. Formé à Leyde auprès du peintre romaniste Pieter Lastman (1583-1633), il dénote de la « peinture fine » de l’Ecole de Leyde par ses jeux de lumière qui évoquent déjà ceux de Gustave Doré ou de Gustave Moreau. Dans Siméon et l’Enfant Jésus dans le Temple, la divinité est incarnée par la lumière seule.
Lorsqu’il s’installe à Amsterdam en 1631, il adhère immédiatement au caravagisme diffusé dans le nord par les peintres hollandais Gérard van Honthorst et Dirck van Baburen qui séjournèrent en Italie.
Le clair-obscur lui permet d’accentuer l’intensité de l’action qui se joue et des sentiments humains. Les compositions religieuses dans lesquelles il s’approprie le ténébrisme, deviennent ainsi de véritables supports à la méditation.
Le Repas des Pèlerins d’Emmaüs témoigne de sa recherche constante de faire correspondre le fond et la forme : la lumière dévoile « les 3 stades de la conscience » (avant, pendant et après la prise de conscience du Miracle).
Dans la représentation de Saint Paul assis à sa table de travail, la source de lumière extérieure à la composition, et celle née du livre, interrogent avec subtilité le rapport entre l’homme et le divin. Synthèse exceptionnelle entre majesté et simplicité.
Le souci de réalisme se manifeste également dans sa pratique quotidienne du dessin. Les études d’instants saisis au vol sont remarquables par la spontanéité du trait mais aussi la précision et l’exactitude du mouvement.
Désireux avant tout de révéler la psychologie de ses modèles, Rembrandt portraitiste rejette toute idéalisation. Qu’il s’agisse d’œuvres de commande ou d’autoportraits il reste fidèle à la stricte réalité des traits et expressions, comme le portrait disgracieux de la princesse Amalia van Solms. Les richesses du Nouveau Monde parvenues par bateaux dans les ports d’Amsterdam lui ouvrent les portes du rêve, mais s’il affuble ses modèles de tissus orientaux, il reproduit fidèlement leurs visages hollandais.
Sa quête de vérité se traduit techniquement dans une facture de plus en plus suggestive. A la fois granuleuse et vaporeuse, elle opère comme une sorte d’émiettement de matière dont chaque grain serait porteur de lumière. La touche, qui demeure visible dès les premiers autoportraits, s’adapte aux textures : fine pour le visage, épaisse pour les tissus. Rembrandt montre la peinture en train de se faire. La préparation est sous-jacente derrière les pans de peinture brute qui montre la vitesse du geste. Allant à l’encontre des règles du genre, une partie du visage reste dans l’ombre, demandant au spectateur de le compléter par son imagination.
L’Autoportrait de 1633 du Louvre est caractéristique de ce style où s’allient les sentiments d’une présence très incarnée doublée d’une évanescence. Il se représente hirsute, l’air conquérant du grand artiste respecté, mais les sourcils froncés marquent sa fragilité, son inquiétude et son introspection sur le destin.
Rembrandt se laisse aller à un approfondissement de l’intime de plus en plus poussé. La dernière salle de l’exposition, consacrée à son entourage proche, rend compte de l’équilibre parfait entre liberté de facture relevant presque de l’abstraction, et réalisme puissant rendu dans des détails comme cette piqûre d’insecte sur la main de la Jeune Fille à sa fenêtre. Rembrandt instille dans ses tableaux filiaux et familiaux une qualité émotionnelle intense. En clôture de l’exposition, le portrait de son fils Titus qui décèdera quelques mois plus tard : le garçon au seuil de l’adolescence et encore habité par des grands yeux d’enfant, accoudé à un pupitre, plume à la main, témoigne avec évidence de la complicité entre le père et le fils.
« Rembrandt intime » révèle à travers peintures, dessins et gravures, toutes les facettes d’un talent qui touche à l’universel et qui n’a cessé de se renouveler.
Informations pratiques
Rembrandt intime, du 16 septembre 2016 au 23 janvier 2017
Au musée Jacquemart-André
158 boulevard Haussmann, 75008 Paris
Le Musée est ouvert tous les jours de 10h à 18h. Nocturne le lundi jusqu’à 20h30.
Tarifs et informations complémentaires : www.musee-jacquemart-andre.com