Miquel Barceló, soleil et ombre

« Sol y Sombra » désigne les places au soleil ou à l’ombre dans les gradins des arènes de corridas. Mais le titre de la double exposition que consacre le musée Picasso-Paris et la Bibliothèque Nationale de France à Miquel Barceló, renvoie également au jeu, permanent dans le travail de l’artiste, entre la densité de la matière et l’émergence de la lumière. Entre la terre qu’il malaxe et la délicate poésie qui en surgit. Peinture, sculpture, céramique, gravure, dessin, installation et performance ; l’œuvre foisonnante de l’artiste majorquin, figure majeure de l’art contemporain, se découvre jusqu’à l'été 2016. En immersion.
Publié le 23 mars 2016

Conçues en duo, les expositions se répondent et se complètent, tant dans les thématiques abordées que dans les mediums employés. Car l’œuvre imprimée de Miquel Barceló présentée à la BNF reste indissociable, par sa dimension expérimentale, de l’ensemble de la production protéiforme dont le musée Picasso donne un aperçu.

La sculpture aux trois visages « Tres Lulls », dernière œuvre du parcours au musée Picasso, renvoie d’ailleurs directement à la monumentale fresque de terre et de lumière qui introduit la visite à la BNF : toutes deux hommages à Ramon Llulls, philosophe, théologien, mystique et écrivain du 13e siècle considéré comme le défenseur de la langue catalane. Ramon Llulls […] rassemble l’amour et la raison. Il m’a toujours fasciné. […]

Créée in situ sur toute la hauteur des vitres de l’allée Julien Cain à la BNF, le « Grand Verre de Terre » de 190 mètres de long et 6 mètres de haut, montre tout ce qui fait la particularité et la force de l’art de Barceló : son rapport charnel à la matière, et plus particulièrement la glaise, matière humaine par excellence comme il dit. Il sgraffie sur la fine couche d’argile un récit qu’il nous laisse déchiffrer. Le détournement m’a toujours plu, comme cette verrière qui devient fresque. J’aime beaucoup la légèreté liée au fait de dessiner avec les doigts et l’argile. Et la réversibilité, aussi.

Miquel Barceló, Tres Llulls, plâtre ©ADAGP, Paris 2016

Miquel Barceló. Le Grand Verre de terre, fresque sur argile, verrière de l’allée Julien Cain/BnF © Alexis Komenda / BnF – ADAGP, Paris, 2016

Fasciné par l’art pariétal qui l’inspire depuis longtemps, (il participe d’ailleurs en tant qu’expert scientifique à conception de la réplique de la Grotte Chauvet), Miquel Barceló a eu la même démarche dans son atelier de céramique à Vilafranca (Majorque) baigné par trop de lumière. L’argile badigeonné sur toute la verrière, puis gratté, laisse apparaître des formes au sol qui dansent au rythme des rayons du soleil. La fresque est de nature éphémère parce qu’elle n’est pas la même selon le moment ou selon les gens qui passent ; elle est vivante.

Ce travail de la terre pour des projets monumentaux est également présenté au musée Picasso dans deux oeuvres qui traitent l’élément du mur, comme support ou comme frontière.

D’abord dans l’évocation de son intervention à la Chapelle Sant Pere de la Cathédrale de Palma de Majorque, inaugurée en 2007. Plus de 300 m2 de panneaux en argile, conçus comme une seconde peau dialoguent avec l’architecture gothique de la chapelle. Le thème de « la multiplication des pains et des poissons » est surtout prétexte pour l’artiste, à représenter le foisonnement de la faune et de la flore. Les quatre maquettes et les essais de couleurs exposés montrent combien ce travail physique de l’argile est une prolongation de sa peinture, vivante et organique. La terre est probablement la matière la plus ancienne et la plus moderne à la fois. C’est la matière humaine par excellence, un support d’imaginaire dans lequel les références bibliques et charnelles sont premières

 Le grand mur de têtes réalisé in situ au musée national Picasso-Paris, 2016 ©ADAGP, PARIS 2016

Ensuite dans ce « Grand mur de têtes », mur éphémère d’environ 350 pièces monté in situ au musée Picasso. Se déployant entre les trois piliers centraux de la salle, il est construit à base de briques en terre cuite et tient par un mortier fait d’eau, de paille et d’argile. Le mur qui se lit des deux côtés révèle une multiplicité de visages; autant d’autoportraits de l’artiste mais aussi, plus largement, représentatif de toute l’humanité. Aérée et maintenue dans sa transparence, la brique traditionnellement utilisée pour la construction, se métamorphose sous ses mains en véritables figures uniques, tantôt noircies de fumée, tantôt blanchies à la chaux.

Miquel Barceló explore le travail de la terre également dans une approche plus traditionnelle des techniques de la poterie qu’il découvre auprès des potières Dogon au Mali. Sur son île de Majorque, il rachète l’ancienne fabrique et utilise le four à bois pour se confronter aux éléments premiers : la terre, le feu et l’eau, si chers à ses recherches. Un ensemble de vases au noir de fumée et un groupe de céramiques polychromes récemment réalisés, renvoient de manière évidente à l’expérimentation de la céramique par Pablo Picasso.

Dans ses ateliers « urbains », Miquel Barceló délaisse l’argile pour le plâtre. « Pour moi le plâtre est l’art urbain : on l’utilise pour la construction, pour les maisons. Et l’argile, c’est beaucoup plus lié à la campagne, parce que les cuissons se font avec du feu, ça fait de la fumée. Je ne pourrais pas faire de céramique en ville : avec des fours électriques, ça ne marcherait jamais. C’est la grande différence entre le plâtre et l’argile. A Majorque, je ne fais jamais de plâtre. » Le musée Picasso reconstitue son atelier avec des études de projets réalisés ou en cours, des maquettes d’œuvres monumentales ou fragments inachevés.

 

Ici une tête d’où émerge des pinceaux, sorte d’autoportrait qui rappelle que Miquel Barceló se définit d’abord comme un peintre ; là une main jaillit de la tête d’une silhouette, exprimant combien, selon lui, le travail de l’artiste passe directement du cerveau à la main. Cette expérimentation immédiate sur le matériau que partageait Picasso, est évoquée dans des photographies des différents ateliers de Picasso par Brassaï, Dora Maar ou André Villers.

Comme dans « Atelier avec six taureaux », les différentes représentations picturales que fait Miquel Barceló de l’atelier, se fondent avec l’image de l’arène. Le centre de l’atelier, lieu vide où toute création devient possible, renvoie au sable de l’arène, lieu où se passe l’action. Les volumes et les textures des tableaux soulignent l’aspect physique et matériel de la peinture qui prend forme dans l’espace tridimensionnel de la sculpture et la céramique. En contrepoint, les œuvres consacrées à la tauromachie servent de métaphores à Miquel Barceló pour parler d’autres aspects fondamentaux de son travail : le geste, la couleur, le mouvement.

MIQUEL BARCELÓ, atelier avec six taureaux, 1994, 235×375 cm. Technique mixte sur toile ©Galerie Bruno Bischofberger, Männedorf, Suisse – ADAGP, PARIS 2016

Contrairement à Picasso qui traite le combat singulier entre l’homme et l’animal dans un point de vue rapproché, Barceló prend de la distance. Ce qui l’intéresse c’est l’espace circulaire, les traces laissées dans le sable, le tourbillon du public, la lumière éclatante. « Sol y sombra ».


Dans le jardin, 6 monumentales Allumettes de bronze prolongent l’exposition du musée Picasso-Paris. Ces Allumettes zoomorphes se consument à la lumière du jour, métaphore du destin de l’homme voué à retourner à la terre.

Informations pratiques 

Miquel Barcelo. Sol y Sombra
A la BNF François Mitterrand jusqu’au 28 août 2016
Quai François-Mauriac, Paris XIIIe . Galerie I
Du mardi au samedi 10h > 19h, dimanche 13h >19h. Fermé lundi et jours fériés
Entrée : 9 euros, tarif réduit : 7 euros
www.bnf.fr/fr

au Musée national Picasso-Paris du 22 mars au 31 juillet 2016
5 rue de Thorigny, Paris IIIe
Du mardi au vendredi 11h30 > 18h, samedi, dimanche et vacances scolaires 9h30 >18h. Fermé lundi et jours fériés
Entrée : 12,50 euros, tarif réduit : 11 euros

www.museepicassoparis.fr

MIQUEL BARCELÓ, Allumettes ©ADAGP, PARIS 2016
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